La génération de la Conquête : un questionnement de l’archive (original) (raw)

Loading...

Loading Preview

Sorry, preview is currently unavailable. You can download the paper by clicking the button above.

References (22)

  1. Instructions données à James Murray le 7 octobre 1763, citées dans Jacques Lacoursière et al., Canada-Québec. Synthèse historique, Montréal, Éditions du renouveau pédagogique, 1976, p. 203.
  2. Pétition de 1769 (transcription de Daniel Latouche et Diane Poliquin-Bourassa, Le Manuel de la parole, 1977, tome 1, p. 27-28), voir les Archives canadiennes, Docu- ments concernant l'histoire constitutionnelle du Canada, Ottawa, Imprimeur du Roi, 1991, p. 27-271).
  3. «Nous supplions que, comme sous le temps du gouvernement François, on laisse à notre colonie tous les pais d'enhaut connus sous les noms de Missilimakinac, du détroit, et autres adjacents jusques au fleuve du Mississipi» (Pétition de décembre 1773, ibid., p. 30).
  4. Voir l'appel du Congrès aux «Amis et Concitoyens» canadiens, 26 octobre 1774 {ibid., p. 32-35) et le mandement de Jean-Olivier Briand, le 22 mai 1775 {ibid., p. 37).
  5. J'entends par Canadiens, aussi bien les auteurs natifs, que les Européens ayant vécu ou s'étant établis au Québec à cette époque.
  6. Pour s'en tenir à une définition contemporaine à notre époque, le Dictionnaire de l'Académie française offre en 1778 pour «Publication»: «Action par laquelle on donne une chose publique et notoire», et ne relève qu'au sens restreint le cas du livre (Nîmes, Pierre Beaume, 1778 , tome 2, p. 356). Le sens actuel et restreint d'éditer (faire paraître chez un imprimeur ou un éditeur) n'est généralisé que dans le courant du XIX e siècle (attesté en 1829 par Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, 1993, tome 1, p. 1666).
  7. Sur l'usage de ces termes à l'époque, voir Jiirgen Habermas, L'Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978, p. 36-37 : « Ce qui est soumis au jugement du public acquiert de la Publicité. À la fin du xvii e siècle, l'anglais emprunte publicity au français publi- cité;
  8. en Allemagne, le mot apparaît au xvm e siècle. La critique elle-même se pré- sente sous la forme d'«opinion publique» (ôjfentlicheMeinung), expression qui, en Allemagne, s'est forgée au cours de la deuxième moitié du xvin e siècle à partir de La Vie littéraire au Québec, l'émergence des Lettres est ici con- temporaine à la création de cet espace 35 . C'est ainsi que la plupart de nos premiers écrivains interviennent dans les grands débats de société, à la fin du xvin e siècle : statut des « nouveaux sujets », Acte de Québec, guerre d'indépendance américaine, liberté d'expression, projet d'université, Constitution de 1791, langue de débats à la cham- bre, etc. C'est à ces occasions qu'ils font entendre leur voix, «publient» leurs opinions et affinent leur plume. Des écrits de cir- constance, certes, mais non dépourvus d'une dimension personnelle, d'un pathos marqué par l'époque et d'une sensiblité «littéraire» (au sens donné en tête de cet article). Si ces écrits ne sont pas encore des «textes 36 », ils émanent de scripteurs liés par un curieux phéno- mène de génération. Bien que relevant de trois groupes d'âge, nos écrivains se sont surtout illustrés au début du Régime anglais, de l'imprimerie et des premières gazettes. Ils forment ce que j'appellerais « la génération de la Conquête». Les plus nombreux, âgés entre vingt et trente ans dans les années 1760-1770, produisent et font circuler leurs textes entre 1770 et 1800, tout comme leurs aînés qui, eux, ont connu la fin du Régime français. Leurs cadets, enfin, nés peu après la Cession, se font con- naître au tournant du XIX e siècle. C'est le plus vieux d'entre eux, Saint- Luc de La Corne, qui produit à cinquante ans le premier texte du cor- pus, un journal de voyage racontant le naufrage de L'Auguste en 1761. Le plus jeune, Ross Cuthbert, fait paraître à vingt-sept ans son Aréo- page (1803) et à trente-trois ans son Apology of Great Britain (1809) 37 . Si soixante-treize années séparent biologiquement ce dernier de La Corne, leurs productions imprimées ne sont espacées que d'une tren- taine d'années: comme celle de leurs confrères en écriture, leur vie littéraire s'écoule entre la fin des années 1770 et le tournant du XIX e siècle. Indépendamment de son âge, donc, en ces «lendemains de de son équivalent français. Public opinion est apparu en Angleterre à peu près à la même époque [...]» (souligné par l'auteur).
  9. Maurice Lemire, La Vie littéraire au Québec, tome 1 (1764-1805). La voix fran- çaise des nouveaux sujets britanniques (1764-1805), Québec, Presses de l'Univer-, sité Laval, 1991, p. viii.
  10. Quelle autre instance critique aurait pu les consacrer comme textes ou oeuvres, que l'éphémère Gazette littéraire du tandem Mesplet-Jautard, dont Pierre Hébert et Jacques Cotnam montrent ici même le cumul des fonctions exercées alors sous couvert de pseudonymes ?
  11. À titre indicatif, rappelons que Philippe Aubert de Gaspé père, né en 1786, relève d'une autre génération d'écriture, celle des années I860. En effet, si l'on fait abstrac- tion de sa collaboration possible au roman de son fils {L'Influence d'un livre, 1837), ses Anciens Canadiens et ses Mémoires ne paraissent qu'en 1863 et 1866.
  12. Ne parle-t-on pas d'une académie voltairienne à Montréal le 21 octobre 1777 (Lettre de L.S.P.R.S.T. à l'imprimeur de la Gazette littéraire de Montréal, 21. octobre 1778) ? Voir Jean-Paul De Lagrave, Fleury Mesplet (1734-1794) : diffuseur des lumières au Québec, Montréal, Patenaude éditeur, 1985, p. 128.
  13. Voir Régine Robin, Le Deuil de l'origine. Une langue en trop, une langue en moins, Saint-Denis, Presses de l'Université de Vincennes, 1993 («La langue perdue», p. 7- 50), et ici-même, l'article de Lucie Robert sur Quesnel.
  14. Voir Gazette littéraire, «[...] nous sommes restreints à lire nos rudiments et nos dictionnaires qui ne nous montrent que du latín, on ne corrige jamais nos fautes en français, nous ne sommes occupés que des auteurs latins et de leur orthogra- ' phe; aucun de nous connaît Restaut, Danet pour la langue française, LeRoi, Vol- taire, les décisions de l'Académie, on nous montre à composer des vers en latin, mais nous ne connaissons point les principes de la poésie française» (Lagrave, Ruelland, 1991, p. 112).
  15. La Brigade fut le premier nom du groupe, avant de devenir La Pléiade, en 1556. Si, un peu témérairement, nous situons ici la Pléiade canadienne aux lendemains de la Conquête, Camille Roy la voit plutôt au lendemain de 1837 {op. cit., p. 11). mais quarante-cinq ans séparent les termes de leurs carrières : du Bellay meurt en 1560 et Pontus de Thiard s'éteint en 1605. Les oeuvres elles-mêmes de cette génération d'écrivains paraissent au long d'une quarantaine d'années (entre 1547 et 1584). Sans doute plus homogène esthétiquement, plus liée à un réel phénomène de génération et sur- tout mieux fournie en «oeuvres», la Pléiade française s'inscrit aussi dans une quête identitaire autour d'une langue nationale et de valeurs culturelles que nos Canadiens découvriront en leur temps et dans un contexte propre. Confrontés eux aussi au choc des langues et des reli- gions, à une nouvelle conception de l'homme en société, ils devront également, comme on l'a vu, s'adapter aux bouleversements de l'imprimé. Mutadis mutandis, la « réformation » à laquelle la civilisation britannique les invite (ou qu'elle leur impose), la découverte de l'Amérique (ou d'un certain destin américain) 44 , le défi du négoce et d'un premier capitalisme ne transposent-ils pas dans le chronotope canadien l'aventure européenne du xvi e siècle 45 ? Ne pouvant illustrer plus avant ce propos, je me contenterai pour finir de revenir à cette génération de la Conquête qui, on l'aura compris, est plus une généra- tion d'écriture que d'écrivains (au sens strict). Mis à part la « brigade » Jautard, Mesplet, Quesnel, Mezière et peut- être Du Calvet 46 , les La Corne, Roubaud, Labadie, Messein, Plessis et Cuthbert n'ont guère le sentiment de faire oeuvre littéraire. Non qu'ils ne puissent prétendre au statut d'auteurs: même s'ils s'en défendent
  16. La découverte «géographique* des territoires américains date bien sûr de l'avant- Conquête; je parle ici de la découverte politique d'un destin américain. Car si, individuellement, explorateurs, missionnaires et coureurs des bois s'aventuraient dans des territoires beaucoup plus vastes, sous le Régime français, c'était dans le cadre d'une politique coloniale européenne qui leur échappait totalement. À l'inverse, les Canadiens de l'après-Conquête, bien que retranchés dans un espace plus restreint, doivent alors collectivement se situer sur le vaste échiquier'nord- américain, face aux colonies du Sud qui obéissent pour la première fois à une logique continentale.
  17. Caractérisée par ce que Jean Delumeau appelle «l'éclatement de la nébuleuse chrétienne», la civilisation de la Renaissance est un moment de crise pour la cons- cience européenne qui se découvre elle-même en découvrant le monde, le pro- grès technique, l'instruction et le rapport du sujet aux savoirs (voir Jean Delu- meau, La Civilisation de la Renaissance, Paris, Arthaud, 1984, mais aussi, pour la dimension littéraire, Daniel Ménager, Introduction à la vie littéraire du xvf siècle, Paris, Bordas, 1984).
  18. Individus liés à la Gazette littéraire, à l'Académie de Montréal, ou au «Théâtre de Société» de Quesnel (avec Pierre-Amable de Bonne, Jean-Guillaume De Lisle, Louis Dulongpré, Jacques Herse, Joseph-François Perreault et François Rolland). Chez eux, le sens d'une mission littéraire ou culturelle est plus vif, du fait de l'expérience qu'ils peuvent avoir d'une vie associative (plusieurs sont négociants, magistrats et /ou francs-maçons).
  19. parfois en de touchantes circonlocutions, leurs précautions oratoires relèvent plus d'un topos que d'une réelle incapacité à se lancer dans les Lettres. «Ce n'est qu'une légère esquisse des malheurs de l'Auteur, pour préparer à la lecture des lettres suivantes», prévient en 1784 Du Calvet, en tête de son Appel à la Justice de l'État. La Corne, lui, retrouve en 1778, presque mot pour mot, l'avertissement du Père Cres- pel dans un autre récit nautique de 1742 : «Je n'ai point entendu don- ner une Relation ampoulée de mon naufrage et de ses suites, j'ai raconté uniment et sans embellir toutes les circonstances : aussi je ne me donne point pour Auteur, la vérité n'a pas besoin d'être ornée 47 ». En 1815, Laterrière père débute ses Mémoires par «je n'aurois jamais voulu en occuper le public, faute de talens suffisants et n'étant point écrivain ni historien». Si leur rhétorique trahit parfois une forme de lit- térarité, ces ouvrages obéissent le plus souvent à d'autres impératifs. Leur écriture avant tout transitive recèle cette « circonstance » étrangère au langage dont parle Barthes à propos du discours politique, marqué, lui, par «le regard d'une intention 48 ». Plus écrivants qu'écrivains, nos proto-scripteurs prêtent leur plume à une société qui, on l'a vu, se cherche une référence, aspire à un récit commun. Faute de «textes», nous disposons du moins d'une écriture qui s'expose alors pour la première fois aux yeux du public: de l'écrit, beaucoup d'écrits, de toutes sortes, apparaissent alors au détour de l'imprimerie. Le récit de La Corne connaît en 1762 deux «émissions» manuscrites à Montréal et à New York, avant sa première parution dans le New York Mercury et une édition chez Mesplet en 1778 49 . Même si tous ne font pas sur le champ l'objet d'une publication, nos monuments circulent du moins en dehors des espaces privés où l'écri- ture, jusque-là, se cantonnait volontiers. Correspondances familiales où s'échangent aussi des nouvelles «sociales» qui, lues ailleurs, dans d'autres cercles, alimentent une chronique (Quesnel, Pierre-Louis Pariet, Mézière 50 ). Billets et lettres de prison interceptés par des sbires 47. Voiages du R. P. Emmanuel Crespel, dans le Canada et son naufrage en revenant en France, Louis Crespel éditeur, Francfort-sur-le-Main, 1742 (l'italique marque le syntagme retrouvé chez La Corne). L'ouvrage avait été réédité en 1757 à Amster- dam et connut ensuite de nombreuses rééditions au Canada à partir du XIX e siè- cle; voir Jean-Guy Pelletier, «Emmanuel Crespel», Dictionnaire biographique du Canada, tome IV, p. 196-197.
  20. Roland Barthes, Le Degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil, 1953, p. 32-33.
  21. Voir ici-même l'article de Pierre Lespérance sur le récit de La Corne.
  22. L'édition prochaine de la correspondance de Quesnel (dont John Hare donne ici un aperçu) témoigne de cette chronique sociale qui se diffuse aussi bien dans d'autres espaces, épistolaires (Julie Roy entreprend dans ce sens à l'ALAQ une recherche sur un corpus de correspondances féminines de l'époque).