La Turquie face aux Réfugiés syriens: Entre engagement humanitaire et instrumentalisation politique (original) (raw)

Refugiés, déplacés et aide humanitaire : l’autre face du conflit syrien

Magazine Moyen-Orient n°19, 2013

Excerpts: En mars 2011, la révolte se déclenchait en Syrie dans un contexte régional marqué par le « printemps arabe ». Le peuple descendait dans les rues pour protester contre les injustices sociales et la corruption du régime de Bachar al-Assad. L’heure était alors à l’espoir : celui de voir des pays arabes plus libres, démocratiques et justes socialement et économiquement parlant. Plus de deux années plus tard, la Syrie est plongée dans une guerre dont la première victime est la population civile. [...] L’émergence d’une problématique inédite C’est dans ce contexte particulièrement sombre qu’un nouveau problème s’est posé et a rapidement pris de l’ampleur, celui des déplacés et des réfugiés (1). Les premiers mouvements de populations ont commencé dès avril 2011. [...] La mise en place des dispositifs humanitaires La plupart de ces déplacés et réfugiés syriens manquent cruellement de ressources et vivent dans une situation de grande pauvreté. D’où l’importance des dispositifs d’aide humanitaire qui doivent également pallier les difficultés des populations locales non déplacées, elles aussi très appauvries (4). En effet, des familles entières n’ont plus que la charité et la solidarité pour survivre. Pour bien comprendre ce système d’aide humanitaire créé pour tenter de remédier à la crise, il faut distinguer deux logiques simultanées : d’une part, les dispositifs visant les nationaux et les déplacés ; d’autre part, les mesures prises pour subvenir aux besoins des réfugiés dans les pays de la région. [...] Les défaillances du système Difficilement quantifiable, l’ensemble de cette aide humanitaire apportée aux réfugiés syriens est gravement insuffisante par manque d’argent, de moyens et de volonté politique. En effet, 400 millions de dollars seulement, sur le milliard et demi promis aux populations syriennes en janvier 2013 à Koweït City, ont été versés aux agences onusiennes. Par conséquent, les camps de réfugiés sont fortement surpeuplés et les conditions de vie y sont déplorables. Encore faut-il souligner que de nombreux Syriens n’y ont pas accès et ne reçoivent aucune aide. L’UNHCR a sonné l’alarme en avril 2013, assurant que l’on était « à un point de rupture ». Quant à l’aide humanitaire apportée aux Syriens n’ayant pu quitter le pays, elle est tout aussi défaillante, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, les régions dans lesquelles le PAM, tout comme les organisations non gouvernementales syriennes et étrangères ayant obtenu l’autorisation de Damas, peut intervenir excluent les zones de guerre et celles « libérées ». Alexandre Giraud, responsable des opérations de l’organisation Première Urgence-AMI au Moyen-Orient, l’a confirmé en avril 2013 : « Nous travaillons principalement dans les zones contrôlées par les autorités, à la différence des ONG sans autorisation qui travaillent clandestinement à partir de pays frontaliers et dans les zones rebelles ». De plus, les convois et les volontaires du Croissant-Rouge syrien ont été pris pour cible par le passé par les deux camps, qui doutent de la neutralité de l’organisation. [...] Vers une déstabilisation des pays voisins L’humanitaire est devenu très vite une dimension essentielle du conflit syrien et son importance ne risque pas de s’éteindre. Pourtant, la variable des réfugiés-déplacés se révèle une des clés souvent minorées par les chancelleries occidentales. À l’intérieur du pays, le régime affame la population qui s’est alliée avec l’ASL pour la punir. Dans les zones encore contrôlées par Bachar al-Assad, les habitants s’appauvrissent et éprouvent des difficultés croissantes à se nourrir. Dans le même temps, les services de santé parallèles, ciblés par l’armée loyaliste, peinent à répondre aux besoins des nombreux blessés et des malades souffrant d’affections chroniques. Qui plus est, des maladies jusque-là extrêmement localisées en Syrie, à l’instar de la gale, la typhoïde et la leishmaniose, se développent à une rapidité inquiétante en raison du déplacement des vecteurs de contamination avec les populations et de l’absence de ramassage des ordures. La situation dans les pays d’accueil des réfugiés syriens n’est guère meilleure. [...]

Les Refugies - Enjeu Strategique du Conflit Syrien

2017

Le phénomène d’exil des réfugiés syriens relève d’un phénomène connu mais d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. Les stratégies des nombreux belligérants envers les civils diffèrent grandement. A ce titre, le régime syrien apparaît comme l’acteur qui se concentre le plus sur les populations civiles, suivant une politique déterminée à leur encontre et engrangeant le plus de bénéfices par les externalités locales, régionales et extra-régionales ainsi provoquées. Si la violence constitue naturellement la première cause explicative, des causes secondaires s’y surajoutent, avec des facteurs de risques spécifiques et abondants.

Les réfugiés syriens au Liban : entre l'approche humanitaire et les divisions politiques

2012

11 « Mikati préside une réunion consacrée à la situation humanitaire des réfugiés syriens », L'Orient-Le Jour, 28 février 2012 12 « Les réfugiés syriens entre le HCR et la situation au Nord » par Ghassan Rifi, As-Safir, 4 janvier 2012 13 As-Safir, 20 mars 2012. 14 Voir à ce sujet notre étude : La situation des réfugiés et travailleurs syriens au Liban…, op. cit. Il convient de noter que le nord du Liban est une région politiquement favorable à l'opposition syrienne et où les liens économiques et familiaux sont nombreux avec la Syrie.

Les enjeux géopolitiques de la révolte Syrienne en Turquie : Le retour aux anciennes représentations territoriales et confessionnelles ?

Zéro problème avec les voisins » ; c'est avec ce slogan que la Turquie du Parti pour la justice et le développement (AKP) est apparue sur la scène internationale en 2002, notamment au Moyen-Orient (MO), qui constitue 63 % de ses frontières continentales. Jusqu'en 2011, la Turquie a traversé un cycle positif de sa politique étrangère, très forte croissance économique, émergence comme puissance régionale. Pourtant, depuis l'éclat des « révolutions arabes », elle se trouve dans une situation périlleuse, et particulièrement avec la Syrie. Cet article établit que la révolte en Syrie a exposé les enjeux stratégiques longtemps occultés par les discours « fraternelles » turco-syriens des années 2000-2010, telles que les questions alévi et kurde réactualisant ainsi des enjeux nationaux turcs. L'analyse de ces enjeux est essentielle pour comprendre le futur des relations et l'éventuelle transition post-Assad qui redessineront la région. Cette étude géopolitique, telle que définie par Yves Lacoste propose d'analyser les rapports de forces et les rivalités des pouvoirs sur les espaces et les terres en question à travers les représentations qui s'imposent dans l'opinion, afin de comprendre l'intérêt stratégique et la valeur symbolique de ces territoires. La Turquie partage sa plus longue frontalière avec la Sürriyah, elle est géographiquement le viatique de l'ouverture turc au MO depuis 15 ans. Selon les enjeux du moment, les relations bilatérales évoluent de paisible à guerrière et les représentations mutuelles glissent de « frère » à « ennemie ». Après quelques efforts du gouvernement AKP pour convaincre Assad de faire des réformes, la Turquie a décidé de soutenir l'opposition syrienne. Soudain la Syrie se voit représentée en miroir négatif de la Turquie, et traitée comme « un problème interne » par le gouvernement comme par l'opposition. Après avoir vu, en juin, un F4-phantom abattu par les forces syriennes puis des tirs d'obus mortels s'abattre sur son territoire, le gouvernement turc s'est donné, par la voie parlementaire, la possibilité d'intervenir militairement en Syrie en septembre 2012. Aussitôt, des renforts militaires avec de l'équipement lourd ont été amenés à Hatay, Kilis, Gaziantep, Şanlıurfa et Mardin, départements frontaliers de la Syrie. Cette région qui souffrait gravement, depuis plus d'un an, des conséquences économiques et financières du soulèvement, a vu affluer plus de 250 000 réfugiés syriens vers les camps d'Hatay, Kilis et Gaziantep. L'inquiétude Arabes alévis de Turquie (nommés alaouites en Syrie), minorité fortement présente à Antioche, Adana et Mersin se voit renforcée par la mise en avant d'arguments confessionnels et l'apparition de combattants saoudiens ou qataris. Quant aux Kurdes, ils se trouvent instrumentalisés des deux côtés de la frontière en un jeu à court terme qui ouvre des perspectives négatives pour la région.

Relations turco-syriennes

Après avoir suivi les principes kémalistes pendant quatre-vingts ans, avec plus ou moins de succès, la Turquie s’apprête à adopter une ligne de conduite différente à la suite de l’accès au pouvoir en 2002 du Parti pour la Justice et le Développement (AKP), attaché aux valeurs traditionnelles et à l’Islam. Avec le premier ministre Recep Tayyip Erdoğan (devenu président de la république turque), issu d’une classe socioéconomique défavorisée, l’AKP a réussi à consolider sa base populaire et à prendre le contrôle des industries dans des villes clés du pays comme Istanbul, Ankara et Adana. Le changement au pouvoir, passant du parti de gauche kémaliste à celui de centre-droite populiste, ne transforme pas seulement la politique intérieure de la Turquie, mais aussi sa politique étrangère et sa perception des relations internationales.