Tombeaux et mémoriaux soviétiques. Création et rôle d’une tradition funéraire en URSS (original) (raw)

Tombeaux et mémoriaux soviétiques: Création et rôle d'une tradition funéraire en URSS Résumé: Le choc historique de la seconde guerre mondiale força l'URSS à re-considérer la question de la mort et de la commémoration post-mortem. Car dans un régime censé refuser toute immanence religieuse, la tradition funéraire restait un problème délicat à aborder. Aussi le travail des architectes fut-il d'une importance primordiale dans la réappropriation des habitudes d'ensevelissement, les formes inventées pour les cimetières permettant a priori l'instrumentalisation du monde de la mort, préludant à l'invention de traditions soviétiques. Et, au-delà des circon-stances individuelles, pour l'Etat stalinien la création d'ensembles mémoriels com-plets – à Stalingrad, Leningrad, et jusqu'à Berlin – permit d'appuyer le discours patriotique en instrumentalisant durablement la mémoire des disparus à l'échelle collective. Ainsi, des modestes tombeaux jusqu'aux majestueux mémoriaux se créa une tradition funéraire propre à l'URSS – qui permit au régime de phagocyter jusqu'aux restes des héros et aux célébrations familiales. Modifiant le sens des néc-ropoles, ce processus de captation mémorielle en fit en ultime mesure les équivalents soviétiques des lieux de culte… Mots clés : guerre, architecture, propagande, coutumes funéraires, mémoire Le choc de la seconde guerre mondiale marqua particulièrement l'URSS, tant en termes de dévastations matérielles qu'en pertes humaines, tandis que le conflit posa aussi de redoutables questionnements sur la survie idéologique du régime stali-nien 1. Alors que la propagande s'ingéniait à vilipender l'ennemi nazi, dans le domaine des arts les architectes furent eux aussi mobilisés à leur manière pour servir la cause soviétique. C'est-à-dire qu'ils furent sommés de proposer des prototypes de cimeti-ères spécifiques à l'Armée Rouge, les meilleurs projets étant censés être réalisés. Tous les genres de monuments mémoriels et funéraires furent étudiés, de la mode-ste tombe individuelle en bois jusqu'au colossal panthéon des héros. Et ce dès la fin 1941, et à un rythme soutenu jusque vers 1944. De fait l'URSS incita ses architectes à inventer une tradition commémorative en simultané avec les évènements militaires. Aussi les cimetières et mémoriaux réalisés entre 1945 et 1970 furent la conséquence de ces études architecturales menées pendant la Seconde Guerre mondiale. Par la force du choc historique, l'URSS dut donc reconsidérer la question de la mort et de la commémoration post-mortem. Car dans un régime censé refuser toute imma-1 Pikhoïa, Rudolf. 2009. URSS, histoire du pouvoir, Montréal, Keruss, pp.8-26.