"Quomodo Maecenas uixerit : à propos du Mécène de Sénèque" (dans Latomus 71, 2012, p. 734-752) (original) (raw)

1. Introduction. - L'image de Mécène dont nous avons hérité est singulière, contradictoire, quelque peu déconcertante. À bien des égards, on ne saurait s'en étonner, elle laisse le sentiment d'une construction a posteriori. Celle-ci doit beaucoup à Sénèque. Sans conteste, c'est lui qui nous a peint le portrait le plus complet - faute d'être le plus objectif - de l'ami d'octavien/Auguste. Portrait cruel s'il en est. Quomodo Maecenas uixerit, notius est quam ut narrari nunc debeat, quomodo ambulauerit, quam delicatus fuerit, quam cupierit uideri, quam uitia sua latere noluerit, affirme Sénèque ( 1 ). Tout condamne Mécène : son expression, sa tenue (cultus), sa suite (comitatus), sa maison (domus), sa femme (uxor). Tout en lui trahit la licence. Il n'est jusque son langage qui ne témoigne de son relâchement ( 2 ). Curieux portrait que celui légué par Sénèque. Par ses excès, il induit la suspicion. À bien des égards, la démarche du conseiller de néron rappelle une des principales modalités de la vie politique romaine à la fin de la République et au début du Principat : la volonté de vilipender l'adversaire, d'en faire une figure repoussante dont on aura démontré l'inaptitude à exercer les charges les plus éminentes ( 3 ). Dans ce cadre, tous les moyens étaient bons : ainsi que l'indique Q. Cicéron à son frère, si quelque fait se prête à la manipulation, il ne faut alors pas hésiter à élever le soupçon de crime (scelus), de débauche (libido) ou de largesses coupables (largitiones accommodatae) afin d'attirer sur le rival la désapprobation publique, le déshonneur (infamia) ( 4 ). Jeter le discrédit. Dans les Catilinaires, le Contre Pison ou les Philippiques, par exemple, Cicéron a sans vergogne mis en pratique le conseil. Sans cesse, le débauché est opposé à l'homme actif et honnête ( 5 ). L'homme entraîné par ses passions est incapable de sagesse, de modération, modération qui est la caractéristique du bon gouvernant. elles sont le symptôme d'une nature viciée. À tout le moins, Sénèque paraît s'inscrire dans cette tradition de l'invective ( 6 ).