Choses de nulle valeur (original) (raw)

Dans le premier chapitre d'un ouvrage remarqué à juste titre dès sa parution1, André Orléan cherche à dégager et à identifier une « structure conceptuelle commune » qui aurait durablement marqué la pensée économique, par delà la coupure entre classiques (Smith, Ricardo, Marx) et marginalistes (la tradition issue de Walras). Il nomme cette structure « hypothèse substantielle » : tous ces économistes souscriraient en effet à une certaine conception de la valeur qui ferait consister celle-ci dans une « substance » ou une « qualité » que les marchandises possèderaient en propre en tant qu'objets. Deux « substances » auraient été ainsi isolées par les économistes, la valeur travail (les classiques) et la valeur utilité (les marginalistes). Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de rendre compte, au moyen de l'objectivité de la valeur, de cette coordination si particulière entre les individus séparés qui est au fondement de l'ordre marchand. Autrement dit, « quelle que soit la substance considérée, ces approches partagent la même conception princeps selon laquelle, pour penser l'échange, il convient d'aller par delà l'apparence des transactions monétaires de façon à mettre en évidence la présence d'une grandeur cachée qui préexiste logiquement aux transactions et les organise2 ». Selon André Orléan, « quatre propriétés » se déduisent de l'hypothèse substantielle et se retrouvent par conséquent aussi bien chez les classiques que chez les néoclassiques : « l'insistance sur le troc, l'exclusion de la monnaie, la sous-estimation des relations d'échange et le caractère global du concept de valeur3. »L'intérêt porté à l'échange direct s'explique en effet par l'hypothèse d'une inhérence de la valeur à la marchandise, ce qui conduit logiquement à penser l'échange marchand comme une extension du troc (première propriété). Du coup, les théories de la valeur réduisent la monnaie au rôle d'un simple instrument technique destiné à faciliter les échanges (deuxième propriété). On ne s'étonnera donc pas que, à l'intérieur d'un tel cadre théorique, les échanges ne jouent aucun rôle, puisqu'ils n'affectent en rien la « substance » des biens échangés (troisième propriété). Enfin, ce discours théorique fait de la valeur substance la puissance ordonnatrice cachée qui permet de saisir l'économie marchande comme un tout, en dépit de l'autonomie de décision des acteurs privés (quatrième propriété). Sans discuter pour le moment une telle reconstruction de la cohérence du discours de l'économie politique, il importe d'emblée de relever qu'elle permet avant tout à l'auteur de poser les pierres d'attente d'une théorie de la valeur comme « institution sociale-historique ». En d'autres termes, il s'agit de « faire comprendre que la valeur substance et la valeur institution sont deux approches irréconciliables4 », et donc de faire apparaître le caractère indépassable de l'alternative « substance ou institution ». Cette remarque est avant tout dirigée contre la position de