Lectures «Sylvia Becerra, Anne Peltier (dir.), 2009, Risques et environnement: recherches interdisciplinaires sur la vulnérabilité des sociétés, Paris, L’Harmattan, coll. Sociologies et environnement, 575 p.» (original) (raw)
in Anthropologie et Développement, Revue de l'APAD, n°40-41, 2014 : 167-171.
in Anthropologie et Développement, Revue de l'APAD, n°40-41, 2014 : 167-171.
Géocarrefour, 2018
Au tournant des années 2000, après avoir mis en avant le concept de vulnérabilité, issue de la politisation des études sur les risques et les catastrophes pendant les années 1970, la gestion des risques s’est enrichie d’une nouvelle notion, celle de résilience. Celle-ci a permis de renouveler la manière de concevoir la relation entre la société urbaine et les risques (naturels ou technologiques) dans un contexte de changement climatique, de forte incertitude et de multiplication des catastrophes. Au moment où l’on croyait avoir maîtrisé les aléas naturels grâce à la technique, celle-ci révélait ses impensés et la fragilisation qui l’accompagne. Parfois vue comme le versant positif de la vulnérabilité, la résilience est une notion intégratrice et d’acception assez large qui concerne non seulement les capacités d’un groupe social ou/et d’un territoire (ou, plus largement, d’un système socio-technique, écologique, etc.) à faire face à une catastrophe, mais aussi ses facultés à se relever de cette perturbation pour en faire une « opportunité ». Le traitement extensif de la résilience quant à sa portée dans les sciences humaines, comme dans les sciences cognitives et biologiques et l’ingénierie, et l’abondance de définitions et d’usages dans la littérature internationale ne laissent pas la notion à l’abri de la confusion quant à son origine et à ce qu’elle transmet véritablement (Kelman, 2018).
HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2016
Interroger le « fossé empathique » pour une politique de prévention des risques professionnels. Notes sur le livre de Karen Messing, Les souffrances invisibles, Pour une science à l'écoute des gens, Editions Ecosociétés, Montréal, 2016. Atelier Travail et relations professionnelle, LEST, 1 er décembre 2016. J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce livre, qui relève d'une épopée quand il « conte » les rencontres qui rythment votre vie, mais aussi d'un voyage initiatique à travers des prises de conscience successives qui rythment votre parcours de recherche. Il m'a fait réfléchir à des angles morts de ma recherche sociologique, il soulève des questionnements fondamentaux dans l'approche de la santé au travail. Pour résumer votre approche, les structures de recherche, mais aussi bien les organismes de la recherche scientifique, les institutions qui la gouvernent, les groupes sociaux qui composent les Etats qui sont à l'origine des commandes scientifiques, tous ces acteurs sont principalement masculins et d'une classe sociale aisée. Cette composition particulière est à l'origine d'un « fossé empathique », cette « insensibilité à l'expérience de l'autre » (p 32) 1 , notion centrale de votre ouvrage qui structure la relation entre des mondes qui se côtoient, se regardent, voire s'analysent, le monde du travail et le monde de la recherche. Ce fossé explique l'invisibilité de la souffrance des groupes sociaux opprimés, des femmes au travail, dont les chercheurs détournent le regard. Aux yeux de ce monde de la recherche, l'empathie envers le monde du travail serait même un critère non scientifique, voire antiscientifique, qui troublerait le jugement des chercheurs et serait antinomique d'une approche dite « scientifique ».
Inter art actuel , 2017
Inter, art actuel 126 25 risques et dérapages ont été démontrées par plus d'un. Des herméneutes de droite ou des fers de lance de l'anti-nietzschéisme ont porté le même diagnostic sur nietzsche : louables (pour les premiers), coupables (pour les seconds), seraient les écrits de l'auteur de Par-delà le bien et le mal et d'Ainsi par-lait Zarathoustra puisqu'ils font l'apologie de la volonté de puissance entendue comme volonté de volonté, éloge des forts contre les faibles. Selon la même grille d'analyse, l'auteur d'Être et temps aurait produit une pensée porteuse de schèmes conceptuels protofascistes. la que-relle divise ceux qui pensent qu'en soi, l'oeuvre porte ces dérives et ceux qui soutiennent que l'infinité des lectures possibles forme un dehors qui échappe à l'oeuvre. certes, il est des oeuvres qui ne s'avancent pas masquées et revendiquent une position d'extrême-droite, antisémite, islamophobe ou sexiste. Mais, en arrière des controverses qui ont tou-ché pour des raisons diverses, voire opposées, Sade, Jünger, céline, Drieu la rochelle, richard Millet, renaud camus, Jean Genet, tony Duvert, pour s'en tenir aux écrivains, et des rappeurs comme eminem, la question reste double : celle de la responsabilité de l'artiste face à son temps, face à ses héritiers, et celle d'un déni de la liberté d'expression dans les gouvernances totalitaires, dans les sociétés d'hypercontrôle. la dénonciation a frappé bien des créateurs accusés de misogynie, d'antisémitisme larvé, d'homophobie, de blasphème, d'islamophobie, d'apologie de la pédophilie, les accusations venant tantôt de la censure étatique, d'un tribunal consensuel majoritaire, tantôt de groupes minoritaires qui s'estiment offensés, lésés. le procès peut s'ouvrir du vivant du créateur ou des décennies après sa mort. S'il est des gestes artistiques qui, en fonction des thèmes qu'ils traitent, des moyens expressifs choisis, encourent moins que d'autres le risque d'une mise au pilori-prononcée par diverses instances, diverses sensibilités-, si l'on en vient à rêver d'une oeuvre portant en elle un noyau irréductible, étanche à toute récupération, à toute instrumentalisation, ne se compromettant en rien, activant une critique , une puissance de subversion, une visée émancipatoire, une charge corrosive à l'endroit de ce qui nous aliène, la plurivocité inhé-rente à toute création et l'infinie palette des réceptions possibles inter-disent la production d'un irrécupérable en droit et, davantage encore, celle d'un irrécupérable en fait. au fil de l'histoire, en raison des chan-gements dans les contextes sociaux, géopolitiques, et dans les menta-lités, les représentations évoluent alors que les seuils de tolérance, les tabous, les zones sensibles, se déplacent. ce qui était au-delà de tout soupçon dans un passé proche ou lointain peut se retrouver sous les feux de condamnations qui relèvent soit d'une ligne éthique, soit d'une ligne idéologique ; condamnations tantôt « fondées », motivées par un tort subi par les victimes, tantôt prétextes pour abattre un adversaire. De tout temps, le pointage d'un contenu offensant (l'État, une religion, des valeurs…) a été l'auxiliaire de la répression, l'alibi de l'incarcération des artistes opposants, de Mandelstam, Yánnis rítsos, nâzim Hikmet et Víctor Jara à Salman rushdie, aslı erdoğan et Dareen tatour, pour n'en citer qu'une poignée. De l'ordre de la performance ou non, l'oeuvre n'a pour éthique que celle de la radicalité de ses moyens et de ses fins : son jaillissement a pour aliment, pour moteur, l'urgence d'exprimer un irreprésentable, un indicible, un inaudible, un impensable. Ses lignes de création se tiennent du côté du funambulisme, du « pèse-nerfs » d'artaud. Pour émerger, les gestes artistiques ont à se battre contre le poids des cli-chés sédimentés, contre la pesanteur des idées reçues, des opinions, des transcendances, des stéréotypes-y compris ceux de leur propre discipline. Ils ne naissent qu'au coeur du brasier, composant leur propre langage à l'écart du commerce de la communication, des savoirs indu-rés, sans s'encombrer de leur après, des réceptions qui sonneront l'hal-lali ou les encenseront. comme le dit Deleuze, leur surrection naît d'un problème, d'un point de crise qui emporte tout, savoirs comme cer-titudes. l'oeuvre est la fille d'une faille, d'une puissance qui prend le Notes 1 alain Badiou, Que pense le poème ?, nous, 2016, 176 p. 2 Georges Bataille, La part maudite : essai d'économie générale, Minuit, 1949, 255 p. 3 Cf. Fernand Deligny, "Voix et voir", « les cahiers de l'immuable », vol. 1, Recherches, n o 18, avril 1975, repris dans F. Deligny, OEuvres, l'arachnéen, 2007, p. 811. 4 Éric Sadin, La silicolonisation du monde : l'irrésistible expansion du libéralisme numérique, l'Échappée, 2016, 291 p. née à Bruxelles, Véronique Bergen est philosophe, romancière, poète. Docteure en philosophie, auteure d'essais philosophiques (L'ontologie de Gilles Deleuze, Résistances philosophiques, Le corps glorieux de la top-modèle, Comprendre Sartre, Fétichismes, Djelem, djelem : les Roms, entre stigmatisation et résistance…), de romans (Kaspar Hauser ou La phrase préférée du vent, Aujourd'hui la révolution : fragments d'Ulrike M., Marilyn, naissance année zéro, Janis Joplin : voix noire sur fond blanc…), de recueils de poèmes, de monographies, et membre du comité de rédaction de la revue Lignes, elle collabore à diverses revues dont La nouvelle quinzaine littéraire, Art Press, Diacritik, L'art même et Lignes. créateur de court, à revers, et lui intime de riposter. Se mettant dans sa création, l'artiste lui donne une endoconsistance venue du sentiment d'une nécessité absolue à devoir répondre à la montée du chaos par une oeuvre, un « chaosmos » qui, loin de mettre le chaos à distance , lui donne une cohérence (plastique, sonore, scripturale…) sans l'étouffer. la menace du chaos qui guette les créateurs s'aventurant aux extrêmes n'a rien en commun avec la menace, justifiée ou fantas-matique, dont s'estiment victimes des récepteurs. la création ne vit pas l'oreille collée à son aval. tenterait-elle de devancer les interpré-tations dont elle sera l'objet, de prévoir, comme un joueur d'échecs, les rétorsions, les manoeuvres que l'horizon du public lui réservera, elle deviendrait métacréation, s'enferrerait dans une démarche réflexive totalisante, branchée sur ses futurs, son après, gagnant en aval, en impossible contrôle de ses conséquences, ce qu'elle perd en jaillisse-ment spontané en amont. elle n'a point à être le gardien d'elle-même, de ce qui ne lui appartient pas, au sens où les forces de l'inconscient, de la dépossession, ont oeuvré à sa genèse. Qu'elle monte à l'imper-sonnel et laisse passer en elle le non humain ! ce qui échappe à son contrôle n'implique pas un principe d'irresponsabilité : l'oeuvre est res-ponsable devant elle-même, devant les forces de vie qu'elle convoque. Plus que jamais, le danger qui guette les pratiques est celui d'un art apprivoisé, dégriffé, mis au service du système ; un art qui mord, agresse, guerroie, pensant subvertir le système, alors qu'il s'emploie à le conforter, alors que ses gestes supposés insurrectionnels alimentent ce qu'il entend faire bouger. Il est des fauves qui pensent rugir alors qu'apprivoisés ; ils assurent la perpétuation de l'ordre et donnent l'illu-sion d'un biopouvoir tolérant les critiques, les contestations. Il s'agirait de mettre au jour les mécanismes qui concourent à l'illusion perceptive , à l'autoaveuglement : comment les artistes proclament-ils une position d'énonciation mineure, alors qu'ils sont avalés par l'étalon majeur ? comment se voient-ils comme des éclaireurs sécessionnistes, des défricheurs, des acteurs d'un contrepouvoir, alors qu'ils sont l'ins-trument de la perpétuation de la domination ? ce tour de passe-passe d'une sophistique sommaire a pour dogme de donner la parole aux individus, de laisser les citoyens s'exprimer sur la toile afin de mieux les museler, les localiser, les administrer. le bond de côté exigé pour échapper au formatage des pensées, des manières de sentir, de créer, n'est comptable que de lui-même, dans l'attention portée à ce qui aug-mente nos puissances de joie, d'existence. t E mpruntant un vers de La tempête de Shakespeare 1 pour son titre et reprenant Voltaire 2 pour la version française, aldous Huxley écrit en 1932 son roman le plus célèbre : Brave New World. traduit en français comme Le meilleur des mondes 3 et en espagnol comme Un mundo feliz, Huxley y dépeint une société dysto-pique qui, dans un État hiérarchique très stricte, contrôle la production technogénétique des êtres triés, conditionnés à accomplir un rôle social spécifique et voués à devenir des « membres convenables et heureux de la société ». le contrôle exercé n'est pas seulement d'ordre social, Pour un monde meilleur quelques réponses aux dérives des « sociétés à risque » u mildred durán Gamba La révolution véritablement révolutionnaire se réalisera, non pas dans le monde extérieur, mais dans l'âme et la chair des êtres humains. Aldous HuxlEy > tania Bruguera, Tatlin's Whisper #5, 2008. Photo : tate Photography/Sheila Burnett, © the artist and tate Modern. politique ou technoscientifique ; les plaisirs, le savoir et même le bon-heur sont aussi régulés dans ce « monde possible » décrit par Huxley. la manipulation, la surveillance et la coercition, instruments « légitimes » du pouvoir, permettent de garantir la devise planétaire de ce meilleur des mondes : « communauté, Identité, Stabilité ». ces mécanismes de contrôle répandus et légitimés dans ce londres futuriste, propres aux régimes totalitaristes et aux états policiers de notre monde non fictionnel, visant à garantir la stabilité sociale, l'ordre et le progrès, deviennent « nécessaires » et « justifiés » dans les sociétés
Le temps des misérables n' est plus ; le temps des vulnérables est venu. alors que le terme de misère est celui qui est d'usage au xix e siècle, le terme de vulnérabilité fait son apparition à la fin du xx e siècle pour désigner une forme de pauvreté qui ne tient pas compte des seules données économiques : les éléments psychologiques, physiques, sociaux, environnementaux, religieux, sexuels, politiques, génétiques, intellectuels, etc., semblent eux aussi devoir tous être considérés dans la vulnérabilité qui se décline de la sorte au pluriel 1 . On pourrait même se réjouir d'une prise en compte de l'humain dans sa globalité tant personnelle que contextuelle, d'une prise en compte des multiples dimensions et aspects de ses souffrances. cependant, les misérables d'hier ne sont pas les vulnérables d'aujourd'hui. car nos sociétés s'inquiètent moins des vulnérables que des vulnérabilités.
A quelles conditions construire une critique sociale en prise avec de nouvelles vulnérabilités et micro-fractures sociales ? A partir des travaux d’Emmanuel Renault, de John Dewey et de Michel Callon, cet article vise à cerner des conditions cognitives et normatives inhérentes à une telle critique en ce que celle-ci a à s’articuler à une déstabilisation des cadres normatifs institués, mais aussi des conditions pragmatiques qui visent à mobiliser la critique depuis les paroles et pratiques des acteurs de première ligne en cherchant à mieux cerner leurs capacités.