"Littérature de grande diffusion", chapitre de l’éd. espagnole du "Livre blanc de la recherche en littérature comparée" préparée par Juan Sebastian Rojas Miranda, 2017 (original) (raw)
L'expression "littérature de grande diffusion" a été préférée au terme de paralittérature, employé en 1983, et cette évolution sémantique est significative des avancées symboliques et scientifiques qu'a connues ce domaine de recherches, désormais légitime après avoir été longtemps relégué dans une marge plus ou moins honteuse. Le terme paralittérature, quoique aujourd'hui discrédité, a joué dans ce processus un rôle d'étape essentielle : il a en effet imposé un concept fédérateur (désignant un « ensemble actuel de livres à vocation non utilitaire et de diffusion importante » mais non pris en compte par « le discours critique actuel » selon André Peyronie) et ainsi donné une visibilité à un ensemble de littératures « de genre » dont l'étude, trop atomisée, était jusqu'alors mal prise en compte. Cette importance se lit dans les titres des travaux, fondateurs pour la critique universitaire, d'Alain-Michel Boyer (La Paralittérature, PUF, « Que sais-je ? », 1992), et Daniel Couégnas (Introduction à la paralittérature, Seuil, « Poétique », 1992), et plus récemment du gros ouvrage de Daniel Fondanèche (Les Paralittératures, Vuibert, 2005). Que le terme, singulier ou pluriel, soit aujourd'hui considéré comme péjoratif peut alors être compris comme le signe d'un gain majeur en terme de légitimité, auquel ces premiers travaux ne sont pas étrangers. Reste cependant du chemin à parcourir encore pour que la recherche comparatiste française rejoigne l'attitude adoptée depuis plusieurs décennies par les meilleurs connaisseurs de ces productions majoritairement anglophones, à savoir nos collègues nord-américains (Etats-Unis, Canada). Non seulement les travaux y sont remarquables par leur nombre et leur qualité, mais la distinction entre des littératures, selon leur public d'élection ou leurs qualités supposées, y est tout simplement caduque. Par littérature de grande diffusion, nous entendons donc ici le versant romanesque de ce qui, dans le contexte des études médiatiques (sciences de la communication, histoire de l'édition, études cinématographiques et arts du spectacle) serait plutôt qualifié de « récit de genre » – le souci de l'homogénéité du support, dans un domaine de plus en plus massivement multimédiatique, nous a conduits à ne pas traiter le cas-limite de la Bande Dessinée. Si l'extension du terme ne recouvre pas celle du « bestseller » (la littérature la mieux légitimée peut fort bien se vendre), il est en revanche possible de placer sous la bannière de la « grande diffusion », comme ambition principale affichée, tout d'abord la « littérature populaire », qui désigne les ouvrages publiés, du XIX e siècle (apparition du roman-feuilleton) à la Belle Epoque, à destination du nouveau public alphabétisé. Outre celle-ci, nous distinguerons, même si les chercheurs comparatistes franchissent aisément toutes ces frontières, entre les littératures policières, de Sherlock Holmes au thriller, et les « littératures de l'imaginaire » (fantastique, science-fiction, fantasy) dont les spécialistes sont fédérés, depuis 1979, par le Centre d'Etudes et de Recherches sur les Littératures de l'Imaginaire (voir le site : www.cerli.org), qui propose un colloque et une publication annuels. On notera enfin que les effets de mode jouent logiquement pour un objet d'études défini par sa large réception : le roman d'espionnage ne fait plus l'objet de travaux tandis que les différentes déclinaisons de « l'imaginaire » ont la part belle. Notre parcours respectera d'abord la chronologie du domaine en évoquant les recherches en littérature populaire, puis nous mènera des genres les plus attendus dans le cadre de ce chapitre (le récit policier, le fantastique, la science-fiction) au genre en voie de légitimation qu'est la fantasy, en tâchant d'une part de montrer les affinités entre ces genres (manifestes dans les travaux de chercheurs « polyvalents »), d'autre part d'interroger le rapport ...