L'insécurité poétique dans la Suisse francophone du XVIIIe siècle : deux palliatifs (2015) (original) (raw)
Selon le Chinois SioeuTcheou, la Suisse francophone abrite en 1740 « les plus mauvais poètes de l'univers ». 1 Celui qui s'exprime ainsi est un épistolier fictif qui parcourt l'Europe dans les Lettres chinoises, un roman de JeanBaptiste de Boyer (17041771), marquis d'Argens. Souvent cité, le jugement du personnage est d'autant plus alarmant qu'il s'accompagne d'un constat paradoxal : « Cependant il n'y a pas de pays dans le monde, où il paraisse journalièrement autant de petites pièces de vers ; on a soin de les imprimer tous les mois dans des livres, où on les recueille précieusement. » 2 Comme le suggèrent de tels propos, d'Argens connaît la poésie suisse à travers le Journal helvétique, une publication mensuelle qui s'imprime depuis 1732 à Neuchâtel et qui consacre chaque mois des pages aux poésies et aux jeux littéraires. Touchés sur un point sensible, les Suisses réa gissent d'abord très vivement aux propos de l'auteur français dans les pages du périodique, 3 avant d'accepter et parfois même de revendiquer, au fil des années, une incompétence en matière de production poétique. 4