ESPACES CLOS / FORCLOS / OUVERTS, OU LE CINÉMA JAPONAIS DE LA HAUTE CROISSANCE (original) (raw)

Bittinger Nathalie, (dir.), Les Cinémas d'Asie. Nouveaux regards.

Comment qualifier l’ensemble des bouleversements qui traversent le monde du cinéma japonais au cours des années 1960 ? L’émergence d’une « Nouvelle vague » et d’un « underground » (angura) suffit-elle à en épuiser la diversité, à en respecter les lignes de force, à en dégager les hiérarchies et les horizons ? Dans son récent Politics, Porn, and Protest, Isolde Standish évoque avec raison une « conscience générationnelle partagée », en lieu et place d’un « mouvement » à la définition trop étroite, sinon problématique (c’était l’option de David Desser dans Eros+Massacre – an introduction to the Japanese New Wave). Toutefois, l’idée de génération ne s’énonce pas uniquement d’un point de vue socio-démographique, mais en les termes, philosophiques, d’une weltanschuung. Elle ressortit à des visions du monde, des modes de pensée, d’interprétation et d’analyse, c’est-à- dire à des formes discursives, incarnées dans les films et les textes théoriques que produisent les principaux cinéastes de l’époque (Yoshida, Matsumoto, Oshima, Adachi, Imamura, etc.). Mais dans cette mesure, la convergence entre génération et discours permet-elle vraiment de conserver l’idée d’une « conscience partagée » ? Quoi de commun en effet entre les appels à la révolution d’un Oshima, les recherches identitaires d’un Imamura et les manipulations textuelles d’un Yoshida ? Plutôt que de redonner dans une unité dernière la disparité des points de vue et des esthétiques, ne faut-il pas inverser notre démarche pour supposer au contraire un espace de différenciation, dont les axes, s’ils ont pu se croiser au détour de 1960, s’éloignent depuis toujours plus les uns des autres ? On tâche ici d’en dégager trois, pour construire les pôles de ce que l’on nomme « l’espace discursif du cinéma de la haute croissance », en tant qu’un « espace discursif » ne saurait être qu’un « système de dispersion » (M. Foucault). Erratum : p. 1, lire :"quant au nombre de spectateurs, il passe définitivement sous la barre des 200 millions en 1971, très loin du milliard des années 1956-1960."