« Quand Tristan et Perceval se croisent, en musique » - Le Moyen-Âge en musique. Interprétations, transpositions, inventions, dir. E. Gaucher-Rémond, Rennes : PUR, « Interférences », 2013, pp. 131-40 (original) (raw)

« Franchir les frontières, dessiner la géographie musicale. La mobilité des musiciens à Turin à l’époque du duc Charles-Emmanuel Ier (1600-1630) », colloque "S’affranchir des frontières. Temps, espaces, acteurs, 1400-1630", Université de Fribourg, 13 juin 2023

2023

Les musiciens sont au XVIIe siècle des acteurs itinérants qui traversent les frontières des duchés, des villes et des nations. Leurs déplacements permettent non seulement la diffusion et l’échange de répertoires, de techniques et de styles musicaux, mais ils forgent aussi l’identité des cours où ils s’établissent : circulation et identité ont donc partie liée. La mobilité des musiciens relie les villes tout en configurant des réseaux à la fois artistiques, princiers, d’influence politique ou de patronage. Les musiciens peuvent voyager seuls ou avec une délégation diplomatique, s’installer définitivement ou temporairement dans une cour, changer de statut social, augmenter ou diversifier leurs activités. Ainsi, de nombreux musiciens s’établissent à Turin durant les premières années du XVIIe siècle, à une période de grandes mutations politiques et artistiques. Leur activité musicale contribue non seulement à la transformation de la vie musicale de cette cour composite, mais également à la construction de l’identité piémontaise. À l’aide de quelques documents d’archive inédits et à travers une approche prosopographique et microhistorique, cette contribution analysera comment le voyage est le moteur des interactions musicales, culturelles et sociales entre Turin et les villes situées au-delà des frontières du duché de Piémont-Savoie, et comment contacts, transferts et circulations amènent à les dépasser, mieux, à les déplacer et à en modifier la nature. La mise en relation qui en résulte dessine une géographie musicale qui dévoile les dynamiques identitaires des sociétés du passé.

Le Tristan de Wagner. Un 'relais' musical et créateur dans la 'Recherche' de Proust

Marcel Proust: écriture, réécritures. Dynamiques de l’échange esthétique, Lourdes Carriedo y M.ª Luisa Guerrero (eds.), Bruselas (Bélgica), Peter Lang, 2010, pp. 413-421. ISBN: 978-90-5201-640-5., 2010

Sachant qu’Albertine rentrera en compagnie de Françoise, le narrateur de La Prisonnière se sent tranquille; il peut donc jouir d’un temps paisible et de la solitude (Proust, 1954: 48). Il décide de jouer de la musique, il s’assied au piano et ouvre au hasard la sonate de Vinteuil qui y était posée (Proust, 2008: 230). Loin d’établir le rapport intime entre cette sonate et son amour pour Albertine, ou entre la composition et l’amour de Swann pour Odette, la pensée du protagoniste s’applique à regarder la pièce musicale comme l’œuvre d’un grand artiste et, par voie de conséquence, il est ramené par le fléau sonore vers les jours de Combray […] où [il avait] désiré d’être un artiste. Admettons avec Jean-Yves Tadié que ce grand artiste est Gabriel Fauré, et que la pièce jouée renvoie à sa Ballade pour piano, op. 19 (Tadié, 1993: 500); la question qui nous intéresse ici n’est pas là, mais dans l’émergence du thème de La Recherche: la découverte d’une vocation d’artiste et, nécessairement, la réflexion sur l’art lui-même. De prime abord, le texte ne semble pas se prêter à cette découverte. Puisque le protagoniste se limite à jouer d’un instrument, puisqu’il interprète, il n’écrit pas; l’interprétation de la sonate le confirme dans son renoncement à la création artistique. Aucune interprétation technique, fût-elle parfaite, ne saurait dépasser l’état de la répétition, l’affirmation de la vie en société et la reproduction mécanique de l’œuvre d’un tiers vont de pair et s’opposent à toute création artistique. Ce refus de création artistique, choix ancien du protagoniste, n’est pourtant pas aussi définitif qu’on pouvait le penser: souvent un remords piquant s’empare de lui et lui fait revenir sur la question fondamentale de l’essence de l’art: En abandonnant en fait cette ambition, avais-je renoncé à quelque chose de réel?. Dans un article consacré à ce même volume de La Prisonnière, Luc Fraisse a soin de distinguer d’un côté les relations en huis clos du héros et d’Albertine, et d’un autre les grandes méditations sur l’art; ce critique cite expressément le cas de Wagner et de Vinteuil comme étant celui d’un monologue délibératif […] remettant tout ce qui semblait acquis en balance (Fraisse, sous presse). En ce qui nous concerne, cette enquête sur la nature de l’art remet sur le tapis les résolutions anciennes du héros et le prépare à une découverte inattendue à ce stade du roman.

Allan W. Atlas, La musique de la renaissance en Europe, 1400-1600 . Turnhout, Brepols, coll. « Épitome musical », 2012, XXIX+955 p

Transposition Musique Et Sciences Sociales, 2014

« Définir le caractère musical d'une époque représente pour les historiens un défi parfois presque insurmontable. […] Et pour la Renaissance, ce défi se pose avec une acuité plus grande encore » 1. Ce défi, Allan W. Atlas, l'un des plus grands spécialistes anglo-saxons de cette période, décide de le relever cependant, offrant aux lecteurs un véritable manuel de référence, complet et richement documenté, mais également pédagogique, ludique sous certains aspects. Dans la lignée de Richard Hoppin et son étude sur La Musique au Moyen-âge 2 , Allan W. Atlas propose d'aborder, au sein d'un unique volume, une période de l'Histoire de la musique longue de plus de deux siècles, et invite son lecteur à un véritable parcours initiatique où compositeurs, mécènes et interprètes deviennent les acteurs d'une vie musicale intense. Un périple à travers les genres, des cours italiennes et des villes du nord de la France à l'Espagne, et jusqu'à l'Angleterre élisabéthaine, car, comme le souligne l'auteur, « si le Moyen-âge a pour lui le nombre des siècles, la Renaissance […] nous transmet bien davantage d'objets musicaux par leur nombre comme par leur variété ». « Notre tableau, pour cette raison, ne sera brossé qu'à grands traits » (p. xxiii), rajoute modestement Atlas. L'auteur propose ainsi de croquer cette période en un tableau véritablement vivant, construit en six parties chronologiques et quarante chapitres thématiques. Rares sont cependant les occurrences du terme controversé de « Renaissance ». Ce parti pris est affiché dès la préface. La discussion historiographique du concept de « Renaissance », l'auteur choisit de l'aborder en épilogue, « alors que les lecteurs ont plus de deux siècles de musique