Michel Houellebecq : "Présence humaine" ou l'envers du roman (original) (raw)
"Je continue de penser que j'aurais dû prendre quelqu'un qui sache chanter. On aurait pu faire un truc. Mes limitations vocales m'empêchent d'arriver au niveau que mes textes mériteraient (rires). Il y a plein de trucs utilisables dans mes textes, mais il faut chanter, vraiment. Pas parler." Ces propos de Michel Houellebecq ont été prononcés en 2013, au coeur d'une entrevue avec Sylvain Bourmeau à propos de la publication de Configuration du dernier rivage. Curieusement, ils ne parlent pas de ce recueil. Ils n'ont même rien à voir avec la conversation dans laquelle ils se trouvent retranscrits. Ils ne sont d'ailleurs pas commentés par le journaliste. Mais la réflexion de l'écrivain est aisée à reconstruire : parlant d'Aragon, il évoque la mise en musique de ses poèmes par Jean Ferrat. Il se souvient alors qu'un tel travail a eu lieu sur la base de ses propres poèmes, treize ans auparavant. C'est en fait de Présence Humaine que parle ici Houellebecq, album rock, réalisé avec Bertrand Burgalat sur son propre label Tricatel, en 2000 : un travail où la musique du second sert de base au premier pour une performance 2 vocale particulière, tenant essentiellement du parlando. On assiste, dans cette réminiscence mal à propos, au retour d'un étrange refoulé. Un embarras affleure, et à cet embarras le statut de Présence humaine correspond, aussi bien dans la bibliographie au sens large de Houellebecq que dans la critique, où pendant longtemps il n'en a pas été question (il faudra d'ailleurs attendre 2016 pour que le disque soit réédité). Treize ans après sa parution en tout cas, on le voit : Houellebecq reste, face à cet objet, non réconcilié. D'abord au sens strict, parce que cette aventure musicale n'a pas eu de lendemain et qu'il serait pour le moins hasardeux d'attribuer au tandem Houellebecq-Burgalat la même qualité d'amitié que, par exemple, celle qui se dégage visiblement de la collaboration Houellebecq-Aubert. Au sens figuré également, parce que même après de nombreuses écoutes, ce disque faussement apathique, en réalité d'une très grande richesse de registres et d'émotions, n'offre aucune prise à la synthèse, ne présente aucune résolution, ne s'insère pas non plus avec clarté dans la série des projets de Houellebecq au fil du temps. C'est pourtant un travail qui en dit long sur l'esthétique houellebecquienne – en tout cas permet de l'envisager sous un angle élargi, que la lecture seule (des romans en particulier) ne permet pas.