L'avant-garde surréaliste en Belgique et Paul Delvaux, in Paul Delvaux, maître du rêve, Evian, 2017, p. 28-37. (original) (raw)

L'avant-garde roumaine et la francophonie européenne. Présence des avant-gardistes belges dans les revues de Roumanie

La rhétorique planétaire Nous allons restreindre le champ du débat relatif aux multiples collaborations de l'avant-garde de Roumanie avec toute l'avant-garde francophone, en nous rapportant au dialogue des écrivains roumains et belges. Ce dialogue s'est concrétisé par la publication des textes signés par les auteurs de Belgique dans deux revues d'avant-garde de Bucarest, Contimporanul (Le Contemporain) et Punct (Point), pendant la troisième décennie du XX e siècle.

Le surréalisme bruxellois et la mise en doute de l’Œuvre. Paul Nougé – chroniqueur de la subversion surréaliste

Paul Nougé -chroniqueur de la subversion surréaliste Une approche interne du surréalisme belge Comment parler de l'aventure surréaliste sans enfreindre le principe fondamental de l'avant-garde, celui justement de ne pas entrer dans les histoires, dans les archives, celui de ne pas se soumettre à la Doxa. Comment, donc, réduire les « objets » surréalistes à une canonisation ? Et comment encore parler de Paul Nougé, le plus intransigeant combattant contre la Littérature, dans un contexte qui s'ouvre aux débats sur l'histoire littéraire ? Comme un effet direct de ce besoin de proclamer le nouvel ordre, le poète avant-gardiste emploie un discourse éminemment autoréflexif. Deux attitudes balisent toute entreprise avant-gardiste : les gestes iconoclastes, le refus du passé, la destruction du système conceptuel et culturel traditionnel, et d'autre part, l'affirmation d'une nouvelle cosmogonie, autonome et inédite. Ion Pop met l'accent sur ce double aspect du mouvement d'avant-garde qui se construit entre négation et affirmation: La conscience autoréflexive de la littérature n'a jamais été si forte, intéressée par la dynamique de sa propre genèse, par les dangers possibles de l'enlisement dans des « formules » et des « conventions », dans la subtile « chimie des mots » qu'elle l'est dans l'avant-garde. Exacerbation, donc, de la conscience de la convention, exaltation d'autre part de la volonté novatrice. Rimbaud -le précurseur savait déjà qu'il travaille pour devenir voyant, Lautréamont -que la poésie doit être faite par tous non par un... 1 . [Notre traduction] C'est cette « conscience autoréflexive », cette volonté d'affirmation dans la négation qui inspire le surréaliste à se dire et à proclamer le nouvel ordre devant les masses. La « littérature des manifestes » est là pour attester ce besoin de prendre position, d'une manière radicale, de dénoncer le mensonge conventionnel, de dire la rupture définitive et irréversible d'avec le passé culturel.

Les avant-gardes artistiques (1918-1945) ; une histoire transnationale (Paris: Gallimard - Folio Histoire - N° 263), 2017. Pocket book. 1200 pages.

2017

Pour qui entreprend une histoire transnationale des avant-gardes picturales au XXe siècle, la période que couvre ce deuxième tome, de 1918 à 1945, est la plus périlleuse. Car l'auteur doit se colleter avec le grand récit dicté par les avant-gardes elles-mêmes. Tout commence-t-il avec Dada? Dès 1910 s'observait la remise en cause symbolique de Paris par les nouvelles générations dans de nouveaux centres : Berlin, Munich, Londres, Bruxelles, Cologne, Moscou, New York. Dada, certes né dans les charniers de la guerre, fut plus encore issu de l'histoire de la modernité artistique et littéraire depuis les années 1850. Les avant-gardes furent-elles idéologiquement progressistes? Les acteurs ne cessèrent de négocier entre les logiques révolutionnaires, leurs ambitions nationales et celle de continuer tant bien que mal à se faire connaître sur la scène internationale. Loin que Paris fût la capitale unique, d'une ville à l'autre, et en particulier à Berlin, Prague, Budapest, Vienne, Moscou, mais aussi à Amsterdam, Bucarest, Zagreb, Barcelone et jusqu'à São Paulo, Mexico et au Japon, apparurent régulièrement de nouveaux groupes décidés à se faire une place dans le courant du modernisme. En revanche, l'entre-deux-guerres fut une période de marchandisation aboutie de l'innovation artistique. Dans les pratiques et les débats des avant-gardes, une problématique était récurrente : quelle place faire au marché, surtout en cas de succès?

« ‘’Nous veillons sur le fait’’ : La factographie entre avant-garde et réalisme socialiste »

Rouge. Art et utopie au pays des Soviets, cat. expo, Éd. RMN - Grand Palais, 2019

[…] Cette dimension pragmatique [productiviste] se conjugue à une composante bien différente : la méthode formelle d’analyse littéraire que revendiquent au LEF Viktor Chklovski et Ossip Brik. Les « léfistes » sont persuadés qu’ils ne peuvent transmettre la nouvelle réalité qui se construit sous leurs yeux à l’aide de procédés artistiques éculés. La transformation des « faits » - compris [par Iouri Tynianov] comme phénomènes – du domaine de la vie courante en faits littéraires garantit l’évolution des formes de la littérature. « Le véritable écrivain est à présent un artisan. Il faut redécouvrir la littérature – le chemin qui y mène passe par des formes intermédiaires et appliquées, qui ne se trouvent pas sur la grand-route, mais par les chemins de traverse » (Boris Eikhenbaum). La factographie se fixe pour objectif d’arpenter ces nouvelles voies. Ainsi, Nikolaï Tchoujak explore le cours de « la littérature de construction de la vie », et Sergueï Tretiakov défend l’idée que le journal est l’épopée du présent et qu’il doit remplacer le roman tolstoïen. Le format du journal comme prototype de nouvelle forme d’écriture intéresse également les factualistes pour son analogie textuelle avec le montage au cinéma et la photographie : le photomontage permet de réunir des fragments de réalité disparates au sein d’une image impétueuse, poétiquement et politiquement efficiente. Ainsi, les débuts de LEF sont marqués par les collages et montages novateurs d’Alexandre Rodtchenko. Mais, dans la seconde moitié des années 1920, sans renoncer à ses célèbres cadrages obliques, celui-ci fait de plus en plus de photographies à plan unique, sans montage – au nom d’une représentation non falsifiée du réel. On en perçoit l’écho dans le manifeste de la section photographique qu’il dirige au sein du groupe Octobre : « Nous sommes fermement opposés aux mises en scène qui brouillent le sens de la photographie et dévalorisent la réalité. » Enfin, la FACTOgraphie recourt souvent à la PHOTOgraphie – leur consonance n’est pas fortuite – en tant qu’« élément témoin » dans les rapports entre l’art et la réalité. En ce qui concerne le cinéma, le LEF opère entre deux pôles : la « vie à l’improviste », documentaire de Dziga Vertov – et le « montage des attractions » de Sergueï Eisenstein. Mais les films de montage d’Esther Choub présentent un intérêt particulier pour les factualistes : Choub associe des plans d’archives, n’ajoutant rien d’autre que les titres, au sein d’une nouvelle narration qui prend parfois totalement à contre-pied les images d’origine. Son montage révèle que même le matériau purement documentaire n’est pas neutre. Cela concorde avec la conclusion de Tretiakov selon laquelle il n’existe pas de « faits en tant que tels », il n’y a que des « faits-effets » ou des « faits-défauts », des « faits-amis » ou des « faits-ennemis » […].