La clinique des délires de guerre (1870-1940), 2016 (original) (raw)

Trois ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Henri Ey, qui peut être considéré alors comme le maître de la psychiatrie française, revient sur son expérience du temps de guerre. Médecin chef de l'hôpital de Bonneval (Eure et Loir) depuis 1933, celui-ci a été confronté en mai et juin 1940 au flux massif de l'exode, c'est-à-dire à un des plus importants déplacements de population de l'histoire du pays, qui généra d'évidents traumatismes 1. Contre toute attente, le psychiatre attaché à décrire ce qu'il nomme la « psychose réactionnelle » des temps de guerre, Henri Ey se glisse dans les pas de son lointain prédécesseur Henri Legrand du Saulle, dont les réflexions sur les effets psychiatriques de la guerre de 1870, qui constituent une référence incontournable dans les milieux médicaux, sont reprise dans le texte en conclusion de l'enquête concernant une guerre de nature pourtant bien différente : « On croit généralement, et l'on répète sans cesse, que les événements politiques exercent une influence très marquée sur le développement de la folie, entraînant une élévation considérable du chiffre des aliénés et conduisant aux catastrophes cérébrales les plus inattendues. C'est là une erreur. Les révolutions et les événements ne frappent que l'intelligence des individus prédisposés et ne font que précipiter l'échéance d'une infortune qui devait entrer dans les choses prévues. […] les événements politiques les plus graves, s'ils donnent au moment où ils surviennent une couleur spéciale au délire, ne produisent nullement un accroissement d'aliénés ainsi qu'on le croit d'ordinaire. » 2 La référence dépasse de beaucoup le simple hommage puisqu'Henri Ey endosse les conclusions de Legrand du Saulle : « nos propres observations concordent pleinement avec cette manière de voir du vieux maitre français » 3. 1870-1871/1939-1945, et par delà la Grande Guerre, rien

L’Histoire en délires. Usages des écrits délirants dans la pratique historienne, 2016

Le délire tel qu'il peut nous parvenir sous forme écrite est-il une source recevable pour l'historien? La question pourrait paraître saugrenue tant l'extension des types de sources mobilisées par les historiens paraît aujourd'hui universelle. Cependant, le caractère pathologique de l'écrit du sujet délirant, l'extravagance d'une parole débordante – étymologiquement le délire sort du sillon de l'expression raisonnable – font de ces corpus potentiels des sources d'un usage en apparence hasardeux. La folie est en effet traditionnellement liée à une forme d'abolition de la subjectivité. Le droit disqualifie ainsi la parole des malades mentaux, considérés comme incapables civilement et irresponsables pénalement – leur témoignage par exemple n'est pas recevable en justice – et même, peut-on dire, leur signature puisqu'ils se voient exclus de la société contractuelle (Castel, 1977)1. Les dires de ceux dont l'esprit est aliéné, suivant la terminologie du temps, comme leurs écrits, sont globalement discrédités par les normes sociales. Pourtant, dans le même temps, un topo ancien rapproche le discours du fou de la vérité. Ne faisait-on pas, à la Renaissance, l'éloge de la folie (Foucault, 1972; Gros, 1997; Thevox, 1979)? Les XIX e et XX e siècles n'ont-ils pas alimenté une fascination pour le savant et l'écrivain tout à la fois fou et génial, fascination dont la construction de l'art brut exhumant les écrits des malades internés en psychiatrie est un des derniers arguments? Si le délire, en tant que résultat d'une déviation des facultés de perception et d'interprétation, peut laisser l'historien sans voix, nous souhaitons ici interroger la manière dont on peut le constituer en source d'histoire, en s'attachant aux écrits ordinaires de la folie plus qu'aux productions extraordinaires des « fous littéraires ». Eux seuls rendraient, en effet, possible l'écriture d'une histoire du point de vue des patients en contrepoint de l'histoire de la psychiatrie, et permettraient peut-être aussi, en vertu de cette heuristique du délire, de renouveler l'histoire sociale et culturelle de la folie. L'objectif ne serait pas, alors, de tenter une analyse de la subjectivité de leur auteur, moins encore d'en catégoriser la folie, mais plutôt d'en utiliser la force d'expression comme un regard autre sur son temps.

« LA PROTECTION SOCIALE TOTALE »: Les hospices pour grands mutilés de guerre dans l'Union soviétique des années 1940

Cahiers Du Monde Russe Russie Empire Russe Union Sovietique Etats Independants, 2008

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Imaginaires de guerre. Claude Simon et Pascal Quignard

Carnets, 2015

Du vécu à l'écriture Agnès Cousin de Ravel 27 août 1914 : Le capitaine Louis Simon est tué à la guerre d'une balle au front. 27 août 1939 : Son fils Claude est mobilisé. Il part en train vers le front des Ardennes et refait le trajet que son père avait fait vingt-cinq ans auparavant. 10-17 mai 1940 : Claude Simon est au coeur de la guerre. Son régiment de cavalerie, sabre au clair, est décimé par l'artillerie et l'aviation allemandes. Restent seulement quatre survivants dont lui. 23 avril 1948 : Pascal Quignard naît à Verneuil-sur-Avre. La famille Quignard habite 3 Place Saint-Jean. Des fenêtres de la maison, on voit les ruines de l'église Saint-Jean bombardée par les Alliés en 1944. Décembre 1951 : La famille Quignard emménage au 86 rue Bernardin de Saint-Pierre au Havre dans l'un des premiers immeubles Perret tout juste sortis de terre, sur le champ de ruines laissées après le bombardement du 4 septembre 1944 qui a détruit la ville à 80 %. De la fenêtre de sa chambre, l'enfant voit un bidonville. Quotidiennement, il traverse des champs de ruines pour se rendre au lycée et à ses leçons de solfège et de piano. Ces quelques dates mettent en lumière deux des trois temps propres à la guerre : 1. Celui de la destruction en acte, de la guerre dans son terrifiant accomplissement. C'est Simon. 2. Celui des ruines. C'est Quignard. 3. Celui de la reconstruction dont je ne parlerai pas. Ces deux premiers temps déploient deux « imaginaires » de la guerre (le mot « imaginaire » entendu comme modalités de représentation) bien différents chez Simon et chez Quignard, même si leurs propos sur la guerre se rejoignent, même si tous deux pratiquent un art certain de la fragmentation. Peu ou prou, tous les romans de Simon, parlent de la guerre. Je pense sa représentation essentiellement à partir de quatre d'entre eux :

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