Retour sur le congrès de musique arabe du Caire de 1932. Identité, diversité, acculturation : les prémisses d'une mondialisation (original) (raw)

Le congrès de Musique arabe du Caire (CMAC), qui s'était tenu en 1932 dans la capitale égyptienne, a déjà fait couler beaucoup d'encre. Il fut notamment l'objet d'un colloque qui se tint lui aussi au Caire en 1989, à l'initiative de Schéhérazade Qassim Hassan et du CEDEJ. Pourquoi y revenir aujourd'hui ? La première raison tient au fait que je suis en train de préparer l'édition d'un ouvrage posthume de Bernard Moussali sur le Congrès. Dans le cadre de cet ouvrage qui sera principalement historiographique, il paraît utile de faire une nouvelle évaluation de cet événement qui fut capital pour la musique, et pas seulement du point de vue arabo-musulman. Evénement scientifique auquel il fut assigné d'emblée des buts idéologiques de normalisation esthétique, le Congrès ne put échapper à un important hiatus entre les buts affichés et ceux réalisés, entre ses influences volontaires et involontaires sur la suite de l'"évolution" de la musique arabe. Un malentendu fondamental opposait, d'une part les musicologues arabes, principalement égyptiens qui, fascinés par la puissance de la technologie de l'Occident et motivés par des considérations nationalistes, souhaitaient majoritairement une réforme et une rénovation de leur musique en intégrant massive-ment des canons esthétiques occidentaux (censés lui fournir une plus grande efficacité), et d'autre part les ethnomusicologues et orientalistes européens qui souhaitaient préserver le patrimoine musical arabe, sa spécificité et sa diversité, et s'intéressaient plus aux musiques populaires qu'aux musiques savantes (comme l'a montré Ali Jihad Racy dans le volume du Colloque de 1992 édité par le CEDEJ). Les seconds avaient-ils eux aussi des arrières pensées politiques ? La question reste ouverte, et elle préfigure de nombreuses situations de chassés-croisés politiques, esthétiques et culturels qui se multiplieront jusqu'au début du XXI e siècle. De ces malentendus, et de l'impuissance des musicologues à légiférer sur la musique, certains analystes ont douté que le CMAC ait changé quoique ce soit au destin de la musique arabe. Or il semble que le temps qui passe modifie la perception que nous avons de ces événements. Et il semble aussi qu'un tel événement puisse être relu tout à fait différemment à la lueur d'une mise en perspective et d'une contextualisation historique. Cette contextualisation doit nécessairement rapprocher les observations musicales et musicologiques, les événements historiques du temps courts et les évolu-tions socio-économiques et culturelles sur la moyenne durée. A partir de la publication du texte de Bernard Moussali (qui pourrait s'accompagner * Maître de conférences au Museum d'Histoire Naturelle et membre du Laboratoire d'ethnomusicologie du Musée de l'Homme (Paris), directeur du Centre Français d'Archéologie et de Sciences sociales de Sanaa (Yémen).