Le modèle juridique en question : retour sur l'apparition du modèle scandinave (original) (raw)

2011, Sens et représentation en conflit

En l’espace de moins d’un siècle, les pays scandinaves ont réussi à s’imposer dans les esprits en tant que modèle, y compris en droit. Or, traditionnellement dans le champ juridique, des grands modèles monopolisent l’attention : l’ancien système communiste, le système allemand, la version anglo-saxonne et enfin la conception française. Le juriste est un taxinomiste compulsif. Il aime trier, classifier, ranger. Dans son travail de systématisation, il use de multiples recours pour clarifier son propos et le rendre intelligible. Dès qu’il s’insère dans une logique comparative avec l’étranger, très rapidement survient le concept de modèle juridique. Caractérisée par son aspect systématisant, la modélisation des systèmes étrangers offre une simplicité d’exposition et des repères aisés à acquérir. Leur enseignement est alors facilité : la focalisation sur les spécificités d’autrui et la problématisation de leur identité offrent une grande source d’inspiration aux juristes, tout en satisfaisant à leurs besoins de catégorisations. La remise en cause du monopole des modèles traditionnels permet de s’interroger sur le concept de modèle en droit : pourquoi et comment se forme-t-il ? Quelle réalité recoupe-t-il ? Quels sont les éléments de définition d’un modèle ? Qui sanctionne cette apparition ? Et pour quels effets ? Le contenu est-il figé ou en constante évolution ? Peut-il même « mourir » ? Existe-t-il un modèle par observateur ou bien un modèle de manière « objective » ? La formation du modèle scandinave offre un potentiel de réponse assez intéressant. En effet, son existence apparaît durant la première moitié du XVIIIe siècle, sous la plume d’auteurs allemands. En pleine recherche du droit pur germanique, ils se tournent vers les pays du Nord. Une représentation systémique en est tirée, opposée à la pensée couramment admise autour de la mer baltique. Toutefois, sous la pression du pangermanisme notamment – mais de manière déconnectée de son pendant scandinave –, les Nordiques vont se saisir de cette représentation culturelle pour la faire leur. En admettant l’existence d’un « modèle nordique », les juristes scandinaves ont réellement consacré sa naissance. En acceptant le rôle qui leur a été attribué par autrui – pourtant fondé sur un contresens historique –, ils l’ont transformé en réalité, procédant à un renouveau du sens des œuvres précédentes, notamment une relecture de leurs règles juridiques. En présentant la généalogie du modèle scandinave, il est possible de procéder à une définition stimulante du modèle. Ce concept, bien que souvent usité, manque d’un réel accord sémantique. Et peut-être est-ce sa polysémie qui lui confère un tel succès. Il faudra donc s’attacher à la signification du mot et du concept. De là, il sera possible de s’interroger quant à son utilité, puis sur son rôle dans la création du sens des éléments – en l’espèce, les règles juridiques – produits par ce modèle. Ce dernier apparaît comme une prédétermination du champ des possibles lors de l’interprétation et la recherche du sens.