Les ZAD: conflits sur l'usage marginal de l'espace (original) (raw)

Depuis quelques années s'est affirmé le principe de la Zone à défendre ou ZAD. Cet acronyme reprend et détourne celui de la Zone d'aménagement différé créé par la loi du 26 juillet 1962, afin de prévenir toute spéculation foncière sur des terrains visant à accueillir des aménagements publics. Par conséquent, la société civile a opéré une redéfinition de l'acronyme selon un nouveau mot d'ordre qui va à l'encontre de celui des pouvoirs publics. Aujourd'hui, l'appellation de ZAD est associée à une mobilisation citoyenne face à un aménagement décidé par un opérateur économique d'envergure soutenu par les pouvoirs publics. Deux ZAD emblématiques se sont imposées, Sivens (Tarn) jusqu'en 2015 et Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), toujours active, tandis qu'une dizaine de petites ZAD sont habitées en permanence. Enfin, le succès médiatique du terme a amené les journalistes à intégrer d'autres sites pourtant habités de façon intermittente (Subra, 2016). Il est possible de définir une ZAD comme un espace de lutte politique, attirant de nouveaux occupants souhaitant proposer un mode alternatif au projet autorisé par les pouvoirs publics. La Zone d'aménagement différé est souvent un espace en marge pouvant accueillir un grand équipement qui va transformer profondément sa nature. Elle est définie par des acteurs extrêmement bien intégrés qui définissent les normes (pouvoirs publics nationaux ou régionaux, grandes entreprises). Or, la Zone à défendre revendique une alternative et mobilise des individus souvent qualifiés de marginaux (des agriculteurs biologiques, des autonomes anarchistes, tous héritiers des « chevelus » du Larzac...). Ces processus de confrontation territoriale ne sont ni récents et ni inédits. Ainsi, le projet d'extension du camp militaire du Larzac en 1971 amène à un vaste mouvement de désobéissance civile et de manifestations avec un premier rassemblement de plus de 80.000 personnes, les 25 et 26 août 1973, sur le plateau. Un mouvement national « Des Larzac partout » amène à la création de 150 comités Larzac et au soutien de nombreuses luttes contre des projets de centrales nucléaires comme à Braud-Saint-Louis (Gironde) en 1975. Ces mouvements participent d'une contre histoire de la croissance économique (Pessis, Topçu, Bonneuil, 2013). Les lieux de luttes sont emblématiques du conflit sur la nature du développement économique et permettent d'ancrer les mouvements contestataires alternatifs autour de réalités territoriales (Goeury, Sierra, 2016). Elles constituent alors un réseau de lieux où s'opposent des acteurs vertébrés, les pouvoirs publics et les grandes entreprises, à des acteurs réticulaires, des associations de défense et une nébuleuse d'individus aux engagements divers (Appaduraï, 2007).