Journée d'étude "Images visionnaires. Anthropologie de l'art visuel des hallucinations". 3 Octobre 2017, Collège de France [Programme Complet] (original) (raw)
Dès 1960, l’artiste américain Robert Smithson s’intéresse à la question de la vision : pratiquant la peinture, il réalise des compositions centrées sur le motif de l’œil ouvert ; exposant à Rome, il s’émeut de la manière qu’ont les visiteurs de fixer son travail. Mais quand, quatre ans plus tard, il abandonne la peinture et réalise une série de dispositifs et de sculptures, son rapport à la vision se modifie radicalement. Si les peintures utilisaient l’œil comme motif iconographique, les sculptures seront de véritables démonstrations d’optique. Pour réaliser ses sculptures, Smithson s’inspire des ouvrages et revues scientifiques dont il est un fervent lecteur. Il s’informe sur les structures physiologiques, psychologiques ou culturelles de la vision et emprunte à des dispositifs optiques tels que le stéréoscope de Wheatstone, lequel lui fournit la structure de l’œuvre Enantiomorphic Chambers (1964), sorte de stéréoscope désaccordé travaillant à la mise en échec de la vision binoculaire. Car peut-on sereinement voir sa vue ? Smithson « opticien » répond par la négative et travaille à déconstruire la vision : s’il la sculpte, c’est pour pointer ses dysfonctionnements, déconstruire ses réflexes physiologiques et ses impensés culturels. « To see one’s sight means visible blindness » écrit Smithson, et cette sentence est tout aussi bien un manifeste : donner à voir la vision, c’est problématiser son fonctionnement et enrayer le supposé « naturel » dont elle relèverait. En analysant le corpus restreint des sculptures de 1964-1968, mais aussi les écrits et documents préparatoires mis au jour dans les archives de Robert Smithson, nous souhaitons analyser les enjeux épistémologiques et plastiques de cette « source optique » et la manière dont ils informent l’œuvre subséquente de Smithson.
Croisement de regards. La phénoménologie de M. Merleau-Ponty et art vidéo de Bill Viola
2008
Considérant avec le dernier Merleau-Ponty la phénoménologie plutôt comme un mouvement philosophique caractérisée par un réapprentissage du voir que comme un système de pensée récursivement fermé, Matos Dias nous parle du maintien de cette attitude dans les pratiques artistiques les plus contemporaines dans lesquelles sʼinscrit lʼart vidéo. Analysant en particulier des vidéos de Bill Viola (son fameux I do not know it is I am like), la philosophe portugaise signale lʼengagement phénoménologique dʼun artiste qui est toujours à la recherche de la spécificité de lʼunion de lʼêtre humain avec la nature, du voyeur et du vu.
Cahiers d'Anthropologie Sociale. Images Visionnaires, 2019
This article deals with the "mastery" of hallucinations that matsigenka shamans exert by means of sound symbols during the ritual ingestion of psychotropic drugs. During the ritual, the shaman performs songs whose semantics remain elliptic to the non-initiated. As a result, listeners elicit that communication between the shaman and the invisible spirits is underway. To this end the poetics of these songs, called marentakantsi, combine symbolically codified statements and words supposed to evoke hallucinated forms. However, the iconicity of the songs does not limit itself to induce the representation of an extraordinary communication, but also helps the shaman to master the forms and sounds that occurred during his intoxication. The poetics of the songs to which these words belong is one of the devices used by shamans to perform the ritual action. To better grasp the public and private effectiveness of the shamanic mastery called iragaveane, I will analyze the sound symbols in the light of their relationship to other ritual devices such as the graphic repertory and the redefinition of space in cosmographic terms.
"Ces lieux où l'on pense: scène, musée, bibliothèque" (Paris 3) - 19 Mai 2017
Nous nous proposons, au cours d’un cycle de journées d’études et de colloques, d’examiner la façon dont des lieux – la scène, l’espace muséal et la bibliothèque, dans leur acception la plus large[1] – génèrent et modèlent de la pensée. Il s’agira de mettre à l’épreuve une hypothèse : que ces « lieux » (espaces circonscrits dans un territoire, architecture, dispositif – scénographique, expographique, classificatoire, … – , systèmes institutionnels et professionnels définis par des missions et des valeurs spécifiques, œuvres et objets présentés) déterminent des modes d’exercice de la pensée qui leur sont propres, tant du côté de ceux qui y « œuvrent » (expositeurs /concepteurs / artistes / programmateurs…) que du côté des publics (visiteurs, spectateurs, usagers) ; qu’ils peuvent, conjointement, être conçus – fabriqués, pensés, analysés, interprétés – comme des espaces de pratique de la pensée – fut-elle simplement une potentialité, qui s’actualiserait de façon fugace, sommaire –, voire de l’exercice philosophique, en son sens le plus ouvert de pratique d’une pensée contemplative, réflexive ou critique. Un tel rapprochement entre des institutions et des espaces par ailleurs (souvent) distincts, s’appuie sur un ensemble de caractères communs, manifestes ou hypothétiques – autant de propositions qu’il conviendra d’examiner. Ces lieux, nettement circonscrits dans l’espace urbain, ou adoptant des formes plus diffuses, occupent dans la cité une place singulière, à part, séparée de la vie quotidienne ou profane : dévolus au temps du « loisir » (otium) et de la « culture », voire du sacré, ils relèvent d’une temporalité exogène, que caractériserait une forme de disponibilité à des modes de perception, d’appréhension, de réflexion spécifiques. Ils sont également a priori définis par la nature « collective » et « publique » de leur fréquentation : ils sont conçus pour, et pratiqués par, des usagers pluriels, la dimension intime et singulière de la réception rejoignant concrètement l’espace politique et politisé de la cité[2]. Ils s’organisent, ensuite, selon une dualité spatiale fondatrice, mettant en regard un espace sujet de l’attention (la salle de spectacle, de lecture, les travées, le lieu d’exposition), dévolu à un des/public(s) (visiteurs, spectateurs, usagers), et un espace objet de l’attention (la scène, la vitrine, le rayonnage). Ils sont en effet caractérisés par des modes spécifiques de mise en présence d’objets et de corps, selon une double logique qui subsiste même lorsque les dispositifs mis en œuvre s’évertuent à brouiller ou à fracturer les frontières. En cela, ils diffèrent d’autres lieux d’exercice de la pensée que sont, par exemple, l’école, l’université, l’entreprise, l’assemblée politique, tout en présentant des similitudes avec d’autres espaces du sacré (la cathédrale ou le monastère). Enfin, ces espaces tendent aujourd’hui à se rapprocher en de mêmes lieux, “tiers-lieux” dédiés à la pensée : lorsque l’exposition se rapproche de l’archive, que le musée s’ouvre à la performance, et que la scène se soumet aux enjeux documentaires. La réflexion y passe par différents modes de perception, de création et d’appropriation qui tendent à se superposer, sans nécessairement se confondre, dans des dispositifs de plus en plus hybrides. De ce fait, il nous semble pertinent de définir la tâche qui nous attend selon plusieurs perspectives, concomitantes. En premier lieu, il s’agira de réexaminer les terminologies, notions et concepts utilisés dans les différents champs (esthétique, philosophie de la scène, archivistique, muséologie, bibliothéconomie…) à la lumière des autres champs, et d’analyser les enjeux de leur migration de l’un à l’autre : ainsi du « forum », ou de la « dramaturgie », par exemple. On pourra également observer et analyser, dans ce contexte, les flux de personnes, d’objets et de pensées, ainsi que les résistances que cela suscite. Un second chantier de réflexion s’attachera à formuler un modèle d’analyse commun à ces différents espaces, et à déterminer les conditions optimales de mises en mouvement de la pensée dans l’espace, communes aux différents lieux, et/ou spécifiques à chacun. Il s’agira, enfin, de s’essayer, à partir d’une perspective plus vaste (urbaine, territoriale), à une topologie des modalités d’exercice de la pensée ; et, le cas échéant : quel effet produirait une telle cartographie, à quelles stratégies, à quels besoins répondrait-elle ? La première session, qui se tiendra le 19 mai 2017 à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 cherchera à discuter les termes de la proposition et l’extension du champ, et à définir un programme, des orientations et des modalités de recherche communs, dans une perspective résolument interdisciplinaire. Seront conviés à prendre conjointement part à la réflexion spécialistes en études théâtrales (histoire, théorie), en sciences de l’information et de la communication (muséologie, archivistique, documentation, bibliothéconomie), mais aussi en esthétique, urbanisme, géographie, histoire, philosophie ou architecture. Comité d’Organisation Aurélie Mouton Rezzouk, IRET, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 François Mairesse, CERLIS, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 Flore Garcin Marrou, LLA CREATIS, Université Toulouse Jean Jaurès Julie Deramond, Equipe Culture et Communication, CNE, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
Entre visible et invisible: trois paradigmes de l’image chez Jean-Luc Marion
Jean-Luc Marion: Cartésianisme, Phénoménologie, Théologie, 2012
Dans ce qui suit, nous nous proposons d’approfondir les réflexions de J.-L. Marion autour d’un thème qui a suscité depuis toujours l’intérêt de la phénoménologie : le rapport entre le visible et l’invisible. Il s’agit naturellement d’une problématique très riche, indissolublement liée aux problématiques du statut de l’image, des modalités du regard qui la vise, de la signification du visage, de la dualité fondamentale entre l’idole et l’icône, et enfin de la tension qui se creuse entre ce qui domine la visibilité et ce qui lui ouvre la profondeur de l’invisible. Comment le regard se configure-t-il en fonction de champs phénoménaux distincts ? Comment discerner où s’arrêtent les couches de la visibilité et commence l’invisibilité ? De quelle manière s’articulent le visible et l’invisible dans l’œuvre de J.-L. Marion ? Ces sont là quelques questions qui formeront la trame de cette étude. Notre plan sera le suivant : (I) une courte mise en contexte de la problématique de l’invisible dans la phénoménologie ; (II) une discussion au sujet de la présence de l’invisible dans la perception commune (III) une approche de la crise du visible que J.-L. Marion diagnostique dans l’image télévisuelle ; (IV & V), un examen serré des différences qu’il est possible de discerner entre deux analyses du tableau que l’on trouve dans La croisée du visible et dans De surcroît ; (VI) une invocation du phénomène saturé de l’icône où l’invisible excède le visible.