Gwiazdzinski L., 2016, Petite fabrique géo-artistique des espaces publics et des territoires L’Observatoire n°48, été 2016, pp. 32-38 (original) (raw)
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Petite fabrique géo-artistique des espaces publics et des territoires
L'observatoire, 2016
Notre réflexion démarre au tournant du XXIe siècle à un moment charnière pour les arts, la fabrique de la ville et des territoires, les modes de vie et attentes des citoyens. Le champ artistique et culturel, dimension importante des activités humaines et domaine d’actions publiques ou privées, est marqué par des transformations majeures. Un « art contextuel »4, en rupture avec l’art classique, se déploie. Les institutions culturelles investissent dans le « hors les murs ». Nombre d’artistes sortent de leurs ateliers pour s’exprimer à l’extérieur et les arts de la rue se muent peu à peu en arts urbains. Côté fabrique de la métropole et recherche urbaine, urbanistes, aménageurs et géographes sont en quête de nouvelles clés de lecture de « l’outre-ville »5. Ils portent une attention nouvelle aux enjeux sociaux, à la cohésion sociale, aux temporalités, au milieu, à l’habiter et au rapport anthropologique à l’espace, aux usages, au quotidien urbain et à la participation des habitants. Prenant conscience de l’importance de l’art et de la culture comme leviers économiques, activateurs de lien social et outils d’urbanisme et d’aménagement des territoires, les collectivités et pouvoirs publics ont peu à peu cherché à accompagner cette effervescence et, plus récemment, tenté de la documenter6 pour réorienter leurs politiques ou « outiller » les acteurs locaux. Enfin, on constate une forte demande pour l’art et les artistes dans de nombreux domaines, et un besoin de rencontre dans les métropoles post-modernes où les grands rythmes collectifs qui scandaient la vie sociale se sont atténués. Au croisement de ces attentes et de ces mouvements, sont apparus des tiers acteurs d’un nouveau genre qui ont le territoire et l’espace public comme scènes et les protocoles géographiques comme points communs : les géo-artistes7. Avec eux, dans l’entre-deux et hors les murs, l’espace public devient à la fois le lieu de croisements entre les acteurs de la fabrique urbaine, une scène artistique et l’objet de métamorphoses néo-situationnistes.
Nous circulons, nous flânons et nous échangeons dans les rues, sur les places ou dans les parcs, ces espaces en creux par rapport au bâti, sans toujours leur porter une grande attention. Pourtant, l'espace public de la ville contemporaine est une salle polyvalente, tout à la fois un chemin, un théâtre et un salon dont il nous faut prendre soin. C'est là que se joue une partie de l'avenir de nos villes comme lieux du vivre ensemble, de la démocratie et de la liberté. Des enjeux. Les espaces publics ne sont pas des « entre-deux » négligeables, des délaissés entre des bâtiments, mais des espaces centraux tant d'un point de vue matériel, que politique et symbolique. La réflexion sur leur conception et leurs usages, n'est pas réservés à quelques spécialistes et politiques éclairés mais concerne tous les résidents ou habitants temporaires sans limites d'âge, de niveau socio-économique, d'origine ou de sexe. Entre individu et collectif, liberté et contrôle, les espaces publics disent beaucoup de nos modes de vie, de nos rites et de nos cultures. Malgré ou à cause de notre hyper-connectivité numérique, ils répondent à un besoin de rencontre, d'urbanité et sont porteurs d'enjeux sociaux et culturels majeurs.
Urbanités
Notre article s’intéresse à un type particulier d’espace public à l’échelle métropolitain comme exemple d’espace ouvert (autres qu’agricoles ou naturels) à considérer dans sa matérialité spatiale, en tant que support de l’interaction sociale, dans sa prédisposition à assurer les enjeux de sociabilité, d’urbanité et d’interactions. L’expression d’espace ouvert est utilisée ici au sens d’espace public pour désigner ces « espaces communs de pratiques » (Levy, Lussault, 2003), ces lieux physiques « de passage et de rassemblement à l’usage de tous » (Paquot, 2009). Il est appréhendé par rapport à l’espace privé, tel que précisé par Ghomari (2002) en citant Billiard (1986) qui souligne qu’un « espace est public quand tout un chacun peut y être physiquement présent et y circuler librement. A contrario, il serait privé quand son accès est contrôlé et réservé à une certaine population ». Dans notre cas, l’étude portera sur le quai de Rabat issu du projet d’aménagement de la vallée Bouregreg. Notre hypothèse est que l’espace public est coproduit par les pratiques de ses usagers inspirées du registre social, bien au-delà des normes et des logiques de l’aménageur-développeur –issus du registre juridique – dans un contexte où l’espace public uniformisé est encombré d’objets et de dispositifs divers (panneaux indicateurs, publicités) qui saturent la perception et le rendent illisible.
2019
Dans un contexte de montée des incertitudes, et en s’appuyant sur des exemples fondateurs, il pose le projet plus large d’un courant de la discipline géographique, la « géographie situationnelle », s’intéressant plutôt au mouvant, à l’instable, au temporaire, au léger, à l’émergent, qu’au stable, au fixe, au lourd et au permanent, un état des mondes actuels et en émergence et une grille de lecture de l’effervescence, de l’éclaté et du discontinu. Il définit et assume une posture du « géographe situationnel » en « défricheur » engagé, en « accoucheur » et « révélateur », avec un certain « état d’esprit », un goût pour l’inconnu, l’aventure, la découverte, les marges, le jeu et la maïeutique. Le courant s’inscrit dans une approche plutôt humaniste et pragmatique de la discipline, en alliant notamment optimisme méthodologique, prospective du présent, praxis et créativité autour de la mise en place in vivo et in situ de dispositifs, plateformes et protocoles partenariaux.
En découvrant Utopia, l'anglais Thomas More a réussi à rendre vraisemblable et désirable une organisation sociale jusqu'alors impensable. Il ne s'agissait pourtant pas dans son esprit d'un eu-topos, d'un pays heureux, mais plutôt d'une Utopia , d'un « pays de nulle part » tant il jugeait improbable l'existence d'un État si parfait (Servier, 1967). C'est toute l'ambiguïté et tout l'intérêt de cette notion réappropriée et détournée par de nombreux auteurs et chercheurs. L'utopie ne s'offre pas si facilement à l'interprétation et oscille entre la critique de l'existant et la mise en détails de son envers positif : un « monde parfait situé sur une frontière entre réel et irréel ». C'est sans doute ce qui explique la nouvelle fortune du mot dans les colloques, publications et conversation comme clé de lecture des mondes contemporains. La réflexion qui s'engage ici sur « les nouvelles utopies du faire et du commun dans l'espace public » s'inscrit dans une pensée en mouvement, en résonance avec le poète Edouard Glissant. Elle correspond à une envie de contrepied et un besoin d'entre-deux fécond, en réaction aux approches habituelles de l'utopie cristallisées autour de deux figures caricaturales : celle positive du projet d'une nouvelle société plus juste, plus fraternelle, plus généreuse et libératrice ou celle négative du projet contraignant, totalitaire, irréfléchi, inconséquent et peu sérieux (Paquot, 2007). En s’inscrivant dans le monde réel, ces expérimentations in vivo, ces occupations, pratiques alternatives et luttes politiques localiséesmanifestations échappent aux qualificatifs de rêverie. Dans l’éprouver, le bricolage et la débrouille, elles échappent à la tentation totalitaire et au fantasme d’un homme parfait. Elles ont lieu. Elles sont autant de « lucioles », appelant à la résistance des lueurs des contre-pouvoirs face aux lumières puissantes du pouvoir. En expérimentant une utopie concrète, ces militants composent une nouvelle grammaire du vivre ensemble. Il n’est plus seulement question d’occuper, mais « d’être le territoire » . Elles sont autant « d’utopies du commun et du faire » qui permettent à celles et ceux qui y participent d’exister, c’est-à-dire à « avoir sa tenue hors de soi, dans l’ouverture » et aux autres d’imaginer un sens, une voie. Utopiste debout.
L'observatoire. la revue des politiques publiques, n°53, Hiver 2019, 2019
Espace-temps longtemps peu investi, la nuit est devenue un territoire sous pression, à la fois reflet et moteur des mutations des sociétés contemporaines. Muse et refuge traditionnel des artistes, la nuit est à la fois un observatoire, un marché investi par les acteurs économiques et le marketing, un support de revendications (droit à la ville, genre, jeunesse, nature, etc.), un espace-temps de mobilisation pour les citoyens, un territoire d’expérimentation et un nouvel enjeu pour les politiques publiques. Caricature du jour, elle révèle l’homme et l’humanité dans ses potentiels et ses contra¬dictions. Mieux, elle nous apprend beaucoup sur le jour et sur nos futurs possibles.
- chapitre d'ouvrage collectif - Référence : Olivier Gaudin, « Un autre sens de l’esthétique urbaine. L’élaboration artistique de la perception des espaces urbains » in Emilio F. Orihuela et Geneviève Vilnet (dir.), Cultures et urbanités, Paris, L’Harmattan, 2015, 256 pages [contribution : p. 31-52]