Affaire Heidegger : « Évitons le négationnisme et la caricature (original) (raw)

http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/11/07/affaire-heidegger-evitons-le-negationnisme-et-la-caricature\_5211384\_3232.html Des tribunes publiées récemment perpétuent encore et encore les errements médiatiques caractéristiques de l'affaire Heidegger depuis le livre de Victor Farias en 1987, Heidegger et le nazisme. D'un côté, un négationnisme qui s'attache à minimiser, ou à occulter le nazisme du philosophe ; de l'autre, un sensationalisme qui, au prix de manipulations douteuses, en brosse un portrait plus conforme aux désirs de leurs auteurs qu'à la réalité historique telle qu'on peut la restituer. Le négationnisme de Jean-Luc Nancy Les procédés les plus courants de négationnisme, c'est-à-dire soit de déni, soit de relativisation, du nazisme de Heidegger, ont été la dissociation entre l'homme et le penseur, la minoration de la durée de son engagement, voire tout simplement l'affirmation selon laquelle les nouvelles parutions n'apporteraient rien de nouveau sur le sujet et que pointer son nazisme serait une manière de ne pas avoir à le lire. Avec une récente tribune dans Libération, Jean-Luc Nancy vient d'en donner l'un des exemples les plus subtils : la question du nazisme du recteur de l'université de Fribourg ne serait pas une vraie question, mais du bavardage ; le vrai problème, d'où seraient venus également tant le fascisme italien que le national-socialisme, ce serait la modernité qui est la nôtre, par laquelle « notre monde » est « immonde ». Que ces régimes totalitaires s'expliquent historiquement de toute autre manière ne compte pas pour Jean-Luc Nancy ; que Heidegger ait été philosophiquement convaincu de leur rôle destructif, mais positif, non plus. Ainsi préfère-t-il, concédant quelques errements, réhabiliter la parole du maître en jouant de lieux communs, au premier rang desquels le bavardage heideggerien et la bienpensance du politiquement correct. Le sensationalisme de Sidonie Kellerer Sidonie Kellerer, répondant à Jean-Luc Nancy dans Le Monde, pratique, elle, l'amalgame suggestif, la traduction tendancieuse et la citation décontextualisée. L'amalgame, c'est celui que Sidonie Kellerer effectue entre Heidegger, membre en juillet 1942 de la Commission pour la philosophie du droit, et son président Hans Frank, avocat du parti nazi et, à partir de 1939, gouverneur général de Pologne. On ne sait quel fut le rôle effectif de cette commission : pourquoi alors affirmer que Heidegger « n'a jamais cessé de participer activement à la mise en oeuvre de la politique nazie » ? Non seulement on ne sait aucunement s'il contribuait toujours à définir celle-ci, mais encore moins s'il la mettait en oeuvre, comme Hans Frank et son concurrent dans le gouvernement général de Pologne, Friedrich-Wilhelm Krüger, chef de la police et de la SS.