Guerriers en scène: Fratta et le Maître de Philippe (original) (raw)

Le virtuose. Conte de l’Inde carnatique

Cahiers D Ethnomusicologie Anciennement Cahiers De Musiques Traditionnelles, 2012

Conte de l'Inde carnatique 1 Fabrice Contri « Il fit cette offrande chantée avec beaucoup d'art. Mais, se demanda-t-il, pourquoi ce chant ? » 2 S. Rāmanujam Le prêtre baissa le voile devant l'image divine. La nuit venait de tomber. La pūjā 3 était achevée. Les récitations et les chants qu'avait entonnés Hariprasād laissèrent bientôt place au vrombissement des hautbois et aux roulements des tambours. L'énergie du rituel s'était transmise dans leurs sons mats et éreintants. Odeurs moites et entêtantes des offrandes, fumée opaque de l'encens : la cérémonie avait captivé tous les sens. Sur la fresque du sanctuaire, Viṣṇu, étendu sur l'immortel serpent, dormait. Immergé dans l'oubli du sommeil, il goûtait le rasa 4 du monde à venir qui, bientôt, jaillirait de son rêve. Aux portes du temple, la foule des dévots regagnait déjà l'âpre quotidien des hommes. Comment le musicien de temple s'abandonna à l'appel des sens et de la mémoire… Hariprasād retrouva la vie grouillante de la ville. Il enfourcha sa moto en toute hâte car il était attendu pour chanter à quelques kilomètres du temple. Il slalomait à présent entre les camions, les charrettes, les rickshaws et les voitures. De tous côtés, telle une armée de singes, les klaxons glapissaient. Les pluies abondantes des dernières semaines avaient inondé les rues. Un marchand ambulant poussait péniblement une carriole qui lui servait de boutique. Du bout de sa canne, un vieil homme semblait tâter l'eau d'une flaque pour en sonder la profondeur. Encore abasourdi par les outrances du rituel, Hariprasād tentait lui aussi d'avancer, à tout prix. Après quelques centaines de mètres, il dut s'arrêter. Sur un petit pont, deux camions Le virtuose Cahiers d'ethnomusicologie, 25 | 2014 10 Soudain, il y eut un bruit sec, un choc métallique, une forte étincelle. Il parcourut encore quelques mètres, luttant contre le sort, puis fut projeté sur le bas-côté, face contre terre. Il sentit un froid vif pénétrer le bas de son corps. Un coup rapide et net, puis plus rien, comme s'il s'était simplement allongé pour se reposer là, à même le sol. Il huma la terre : elle était humide. Il avait toujours aimé cette odeur de l'après-mousson. 11 Un autre lieu apparut alors en sa mémoire, une autre rizière, resplendissante. Il se rappela qu'il avait attendu durant des heures sur ses bords, bien des années auparavant, avec Henry Higgins et son fils Carol, qu'un véhicule vînt les secourir. Ce jour-là, à l'aube, tous trois avaient quitté les montagnes des Ghâts et pris la route de Tañjāvūr 6. Une route chaotique, pleine d'embûches. L'essieu de leur voiture malmenée avait fini par percer le Le virtuose Cahiers d'ethnomusicologie, 25 | 2014 Ô Akṣayaliṅga ! Toi que nul n'engendra ! Ô, Maître de myriades de mondes… Il porta ce chant à son plus haut degré de perfection.

Philippe de Mézières et son Epistre au roi Richart

Le Moyen Age, 2010

Philippe de Mézières et son Epistre au roi Richart* Philippe de Mézières a été par le passé et reste, de nos jours encore, l'un des écrivains politiques médiévaux les plus étudiés, en particulier, faut-il le préciser, pour son Songe du Vieil Pelerin 1 , mais aussi, ces dernières années, pour quelques pièces moins connues comme le Livre de la vertu du sacrement de mariage et du réconfort des dames mariées, l'un des épisodes de ce dernier, Griseldis, traduction en prose française de la dernière nouvelle du Décaméron de Boccace, au départ de la version latine réalisée par Pétrarque, des écrits où s'exprime sa croyance en la rédemption par la passion christique et l'intercession virginale, des textes qu'il aurait souhaité fondateurs d'un nouvel ordre de chevalerie 2 , et, bien sûr, tout récemment, l'Epistre lamentable et consolatoire 3. À l'inverse, la bibliographie consacrée à son Epistre au roi Richart 4 , Richard II roi d'Angleterre s'entend, se révèle pratiquement vierge, tout au moins d'études portant expressément sur cette oeuvre. S. Lefèvre ne signale aucun travail particulier à son propos dans le Dictionnaire des lettres françaises, mais il est vrai qu'elle n'évoque pour ainsi dire pas l'Epistre 5. La page qui

De la narration à la scène : le Roland furieux du cycle d'Effiat

2020

De la narration à la scène : le Roland furieux du cycle d'Effiat utpictura18.univ-amu.fr/rubriques/arioste/narration-a-scene-roland-furieux-cycle-deffiat Pour citer ce texte Stéphane Lojkine, « De la narration à la scène : le Roland furieux du cycle d'Effiat »,

Maîtres de la terre, maîtres de la guerre

Cahiers d'études africaines, 1984

E. de Latour-Landmasters and Warmasters. There are two pre-eminent groups among the Mawri: the aboriginal Gubawa, owners of the land rights and keepers of the ancestors cuits, and the Arewa warriors, holders of the political power. Social order in the first group rests upon seniority and sacrifice, in the second one upon competition and strength-backed relations. A foundation myth accounts for the intergroup relationships in ternis of marriage: the dynasty springs from the union of the first warrior to visit the region with the daughter of one of the landholders. This suggests a compact, with land arfording legitimacy, weapons providing protection. This contract, reinforced by a set of rules, is put into effect through enthronement rites and war, but beyond these two main social experiments, each group keeps to its own representations. This leads to conflict concerning the management of arfairs, with the Gubawa claiming preeminence due to anteriority of occupation, while the Arewa try to use their military power to reign by themselves. When cohesion is on the rise and rules are Consolidated, there is a State in the offing. However concentration of power starts a process of segmentation: war, fission of princely lineages and group splitting. Yet this apparent frailty does not resuit into a destabilization of a power which thrives on the conflicts it generates.

L’ermite et le virtuose

Ateliers d'anthropologie, 2011

Revue éditée par le Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative 35 | 2011 : Virtuosités ou les sublimes aventures de la technique L'ermite et le virtuose Glenn Gould et Georges Cziffra en figures de l'ascèse pianistique The hermit and the virtuoso Glenn Gould and Georges Cziffra figures of pianistic asceticism DENIS LABORDE Résumés Cette contribution est consacrée à deux pianistes virtuoses de la seconde moitié du XX e siècle : Glenn Gould (1932-1982) et Georges Cziffra (1921-1994). Glenn Gould vécut en ascète dans l'Ontario, renonçant au concert, qu'il assimilait à la corrida, pour se consacrer à l'enregistrement. Georges Cziffra se retira à Senlis, près de cette chapelle Saint-Frambourg dont il fit le siège de sa fondation après avoir bâti le célèbre festival de La Chaise-Dieu et avoir consacré une vie de virtuose à ces salles de concert et ces plateaux de télévision qui l'accueillirent dans le monde entier. Ces deux artistes incarnèrent deux figures antagoniques du pianiste : l'un, pour qui la pratique musicienne n'était « ni une démonstration de la virtus (virtuosité) du soliste, ni la complaisante exhibition d'une pratique de soi » (Schneider, 1988 : 40), incarna la figure érémitique de l'artiste en prise sur « la musique » ; l'autre, « le type qui peut jouer du piano plus vite que tous les autres » (Böhm, 1995 : 88), incarna la figure mondaine du virtuose. Aucun ne fit l'unanimité, aucun ne laissa indifférent. Ainsi se construisirent, aux deux extrêmes d'une rhétorique de la virtuosité, deux figures antagoniques de l'ascèse pianistique : Gould, absorbé par la technologie ; Cziffra, par la technique. This contribution is devoted to two pianists virtuoso of the second half of the XX e century: Glenn Gould (1932-1982) and Georges Cziffra (1921-1994). Glenn Gould lived as an ascetic in Ontario, giving up concerts, which he likened to bullfights, to devote himself to recording. Georges Cziffra withdrew to Senlis, near the chapel of St. Frambourg which he turned into his foundation after having built the famous Festival de La Chaise-Dieu and having devoted a virtuoso lifetime to these concert halls and television studios that welcomed him worldwide. These two artists incarnated two conflicting pianist figures: one, for whom music practice was "not a demonstration of the soloist's virtues (virtuosity) nor a complacent exhibition of self practice" (Schneider, 1988: 40), embodied the figure of the hermit artist in tune with "music", the other, "the guy who can play the piano faster than all others" (Böhm, 1995: 88), embodied the worldly face of the virtuoso. Neither was unanimously beloved nor did they leave anyone indifferent. Thus at the two extreme of this rhetoric of virtuosity, two conflicting faces of L'ermite et le virtuose http://ateliers.revues.org/8841 1 sur 24 12/01/12 17:02 pianistic asceticism were constructed: Gould, absorbed by technology; Cziffra, by technique. Entrées d'index Index de mots-clés : musique, Cziffra, Gould, pianiste, virtuose Index by keyword : music, Cziffra, Gould, pianist, virtuoso Texte intégral Il sentait le dangereux attrait de la virtuosité…, plaisir bien excusable, presque innocent chez un jeune homme, mais néanmoins mortel pour l'art et pour l'âme. Romain Rolland, Jean-Christophe, t. IV. 1. Une personne extrêmement douée, « amateur de sciences et des beaux-arts, qui en favorise le progrès » (Encyclopédie). « Madame la Dauphine… est virtuose (elle sait trois ou quatre langues) » (Sév.). 2. (1668, répandu XVIII e siècle). Musicien, exécutant doué d'une technique brillante. Virtuose du piano. « Le jeu vertigineux du virtuose » (Proust). Adj. Il est plus virtuose qu'inspiré. 3. (Dans toute activité, artistique ou autre). Personne, artiste extrêmement habile, dont le métier, la technique sont supérieurs. Virtuose du pinceau. Rivarol… « était un virtuose de la parole » (Ste-Beuve). « Il y a des virtuoses de la diplomatie » (André Siegfried)… Pour qu'il y ait virtuosité, il faut un virtuose. C'est ce que dit mon dictionnaire usuel : la virtuosité, c'est « le talent, la technique du virtuose » (Le Petit Robert, 1990). Quant au virtuose, en voici trois acceptions escortées d'exemples : 1 … et de l'identité, serait-on tenté d'ajouter après avoir lu l'ouvrage canonique de Xabier Itçaina (2007). C'est au deuxième de ces virtuoses qu'est consacrée ma contribution, au « musicien, exécutant doué d'une technique brillante » (Le Petit Robert, 1990). Mais le fait que l'on se trouve en présence d'un virtuose garantirait-il que l'on aperçoive nécessairement « de la virtuosité » ? Pour qu'il y ait virtuosité, il faut, certes, se trouver plongé dans une situation de face à face avec un virtuose, mais ne faut-il pas, en outre, être à même de repérer « du talent », « de la technique » dans le jeu du virtuose, et de remarquer son caractère « brillant » ? C'est bien la question qu'une approche anthropologique va nous permettre d'adresser à cet oublié de la définition du dictionnaire, à ce témoin de virtuosité, ce spectateur-chacun de nous-qui voit le virtuose à l'oeuvre : l'opération qui nous fait qualifier tel ou tel musicien de virtuose, ou le même musicien de virtuose dans telle interprétation et pas dans telle autre, irait-elle de soi, serait-elle imposée par l'expérience ? Comment éprouvons-nous la technique de son jeu instrumental ? La virtuosité serait-elle une caractéristique immanente du jeu de l'interprète ? 2 Deux pianistes emblématiques de la seconde moitié du XX e siècle vont servir à la fois de cibles et de guides pour l'analyse de cette construction de la virtuosité. Bien que contemporains, jamais ils ne se rencontrèrent. Glenn Gould (1932-1982) vécut en ascète dans l'Ontario, renonçant au concert, qu'il 3 L'ermite et le virtuose http://ateliers.revues.org/8841