Hesamag n° 15 "Journaliste, un métier en voie de précarisation" (1er semestre 2017) (original) (raw)

En ces temps incertains, c’est peu dire que les journalistes ont mauvaise presse. Les leaders politiques, toutes tendances confondues, n’hésitent désormais plus à les clouer au pilori en public. Les représentants de la presse formeraient donc une caste homogène, urbaine, branchée, arpentant les lieux de pouvoir, fréquentant les cocktails. L’irruption, il y a déjà un bon nombre d’années, de présentateurs-vedettes de JT sur le papier glacé de la presse people et l’omniprésence de quelques éditorialistes dans les talk-shows n’ont évidemment pas contribué à améliorer l’image de la profession auprès du public. A côté de cette ultra minorité de journalistes VIP, l’immense majorité exerce, modestement et loin des projecteurs, le métier d’informer. La plupart en vivent encore correctement, une minorité grandissante n’arrive pas à en retirer un salaire décent. Le phénomène des stagiaires longue durée et des fauxindépendants n’est pas nouveau. Depuis longtemps déjà, nombre de jeunes éléments prometteurs ont compris qu’il s’agissait d’un passage quasi obligé vers un statut plus stable. Après tout, pourquoi ne devraient-ils pas faire leurs preuves ? Le problème est qu’aujourd’hui les “périodes d’essai” ont tendance à s’éterniser. A un point tel que les aspirants journalistes – et pas qu’eux – n’imaginent même plus décrocher un jour un CDI. Au niveau de la presse écrite, l’Internet a rapidement instillé dans les esprits le réflexe de l’accès gratuit à l’information, accélérant l’érosion des ventes. La crise de 2008 a précipité la chute des rentrées publicitaires. Les patrons de presse et des directeurs de rédaction, au profil de plus en plus HEC, en ont profité pour “dégraisser”. Conséquence : les rédactions se vident, les “survivants” sont au bord de l’épuisement, une grande partie des contenus sont fournis par une armée de pigistes invisibles. En Europe, les freelances représenteraient désormais un tiers des affiliés des syndicats de journalistes. Isolés, mis en concurrence les uns avec les autres – et même parfois avec les contingents d’“informateurs” non professionnels et non rémunérés fournis par les réseaux sociaux –, ils sont prêts à tout pour se faire un nom et inscrire dans la durée leur collaboration avec certains médias. Malgré leur extrême précarité, ils sont peu enclins à se coaliser. “Pour exercer ces métiers, on paye : on paye le plaisir qu’on y prend, on paye le prestige qu’ils confèrent”, constataient il y déjà près de dix ans deux auteures précaires dans un livre consacré à la paupérisation de certains métiers intellectuels, dont celui de journaliste (Les nouveaux intellos précaires, éd. Stock, 2009). Depuis, la situation s’est encore dégradée. Au point que les professionnels du journalisme se mettent à douter du rôle et du sens de leur métier, un pourcentage important d’entre eux envisageant même de réorienter leur carrière. Un nuage de plus sur nos démocraties… en ces temps incertains.