Frontières interétatiques et identités collectives (original) (raw)
Debarbieux B., « Frontières interétatiques et production des identités collectives», in J. ---F. Staszak (dir.), Frontières en tous genres, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, 125---146. Chapitre 6 Frontières interétatiques et production des identités collectives Bernard Debarbieux Les frontières étatiques constituent l'archétype de la notion de frontière. Au point que c'est à elles que l'on pense spontanément quand on mentionne le mot, au point aussi que c'est leur image qui s'impose quand on réfléchit aux discontinuités spatiales en général. Avec les autres frontières dont parle ce livre, elles ont en commun la caractéristique d'accompagner la construction des identités collectives et des formes d'altérité. Leur genèse et leur fonctionnement méritent donc d'être étudiés comme une modalité parmi d'autres du cloisonnement de l'univers social, culturel et politique dans lequel a évolué et évolue encore l'humanité. Toutefois, dans la grande famille des frontières, des limites et des discontinuités, les frontières étatiques présentent quelques spécificités. On peut être tenté de chercher ces spécificités dans les formes matérielles et les dispositifs géographiques (des bornes, des murs, des postes de douane, etc.) auxquels les représentations communes les associent le plus volontiers. Mais si ces marquages et les contraintes qu'ils opposent à la circulation des humains et des biens sont souvent bien réels, et participent des représentations et des expériences que nous avons tous de leur existence, ils ne sont pas universels : la plupart des frontières étatiques ne sont pas marquées de la sorte, ni même perceptibles in situ d'aucune façon. Ces formes matérielles ne sont pas non plus spécifiques des frontières étatiques : des murs marquent aussi des limites de propriété, parfois même séparent des quartiers urbains ; des sas existent aussi dans les bâtiments publics et les centres commerciaux. De fait, la spécificité de ces frontières tient plutôt à leur caractère institutionnel : autrement dit, elles participent de l'institution de certaines entités sociales (l'État, la nation, le territoire, etc.) et sont subjectivement intériorisées par les individus quand ils se pensent dans leur rapport à chacune de ces entités. C'est en cela qu'elles participent d'un imaginaire social de l'espace : elles constituent une modalité nécessaire de la constitution de ces entités, et des sentiments d'appartenance ou de dépendance que les individus éprouvent vis---à---vis d'elles. Pour s'en rendre compte, on présentera successivement la genèse historique du régime de la frontière qui caractérise la naissance des États et des nations dans l'Europe moderne, mais aussi sa banalisation et son Debarbieux B., « Frontières interétatiques et production des identités collectives», in J.---F. Staszak (dir.), Frontières en tous genres, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, 125---146. intensification durant la période industrielle, l'acclimatation du régime au contexte colonial et postcolonial, avant de suivre les développements récents des rapports entre frontière étatique et identités collectives au temps de la mondialisation présente.