ROSÉ I., « Simon le Magicien, hérésiarque? L’invention de la Simoniaca heresis par Grégoire le Grand », Aux marges de l’hérésie. Inventions, formes et usages polémiques de l’accusation d’hérésie au Moyen Âge, Rennes, PUR, coll.« Histoire », 2018, p. 201‑238 (original) (raw)
Ni la simoniaca heresis, ni la figure de Simon le Magicien ne sont des sujets neufs. La première a attiré l'attention de deux spécialistes d'histoire de l'Église, Jean Leclercq et Giovanni Miccoli, dans les années 1940 2 . Leur objectif était de comprendre comment cette expression, bien attestée en particulier à partir de Grégoire le Grand au tournant des e - e siècles, avait été surinvestie par les réformateurs à l'époque grégorienne pour condamner certaines pratiques relatives à l'obtention des sièges épiscopaux 3 . Des travaux assez nombreux, qui relèvent plutôt de l'histoire du droit, ont par ailleurs été consacrés à l'interdiction du trafic de charges ecclésiastiques, en mettant parfois en relief le rôle qu'y joua Grégoire le Grand 4 . Dans la lignée d'un article important d'Herbert J. Cowdrey publié en 1992, la figure de Simon le Magicien a pour sa part fait l'objet d'un ouvrage d'Alberto Ferreiro en 2005 5 . Il y étudie les diverses facettes du personnage, notamment telles qu'elles se fixent dans l'Antiquité tardive et le très haut Moyen Âge, puisque la figure y acquiert une ampleur démesurée et inattendue. Il est en effet considéré comme le premier gnostique dans les polémiques antihérétiques ou comme un proche de Mahomet dans la littérature anti-islamique, tandis que sa chute fait l'objet de nombreuses représentations iconographiques. Alberto Ferreiro ne s'est toutefois intéressé qu'aux aspects « exotiques » de la figure et a laissé de côté 1. Je tiens à remercier ici les personnes qui ont été les relecteurs attentifs et stimulants de ce travail. Du côté des spécialistes de la période, sans l'avis desquels je ne me serais pas risquée à publier cette recherche, Bruno Judic m'a invitée à creuser certaines hypothèses, tandis que Bruno Dumézil, en plus d'orienter mes recherches bibliographiques, m'a livré de nombreux éléments de réflexion sur le contexte, notamment conciliaire et franc, tout en discutant au plus près certains de mes arguments. Comme de coutume, Emmanuel Bain m'a amenée à réfléchir à certaines notions et Michel Lauwers à préciser davantage les enjeux de cette recherche. 2. L J., « Simoniaca heresis », Studi gregoriani, n o 1, 1947, p. 523-530 ; M G., « Appendice : la "simoniaca haeresis" in Pier Damiani e in Umberto di Selva Candida », Studi gregoriani, n o 5, 1947, p. 77-81. 3. L'enjeu principal de la discussion et du désaccord entre ces deux historiens était de cerner si la simonie était véritablement considérée comme une hérésie à l'époque grégorienne. Pour Jean Leclercq, cette période se serait caractérisée par un tournant global de la pensée ecclésiastique pour affirmer que les pratiques simoniaques relevaient d'une erreur doctrinale (les simoniaques croyant à tort qu'ils pouvaient acheter le don du Saint-Esprit), alors que pour Giovanni Miccoli, le positionnement des penseurs grégoriens était beaucoup moins univoque. 4. En dernier lieu, R R., « Papa Gregorio Magno e la Simoniaca haeresis », Augustinianum, n o 53, 2013, p. 195-229, qui donne en notes 2 et 6 l'ensemble de la bibliographie sur l'interdiction du trafic de charges ecclésiastiques. 5. C H.E.J., « Simon Magus in south Italy », C M. (dir.), Anglo-Norman Studies, XV: Proceedings of the XV Battle Conference and of the XI Colloquio Medievale of the Officina di Studi Medievali, Woodbridge, Boydell and Brewer, 1993, p. 77-90 ; F A., Simon Magus in patristic, medieval, and early modern traditions, Leiden, Brill, 2005.