Le non-recours, révélateur d'une redistribution manquée (original) (raw)
• Nadia Okbani, « Le non-recours, révélateur d’une redistribution manquée », Anne Eydoux et Bernard Gomel (dir.), Apprendre (de l’échec) du RSA : la solidarité active en question, Paris, Éditions Liaisons sociales, 2014, p.145–154.
En 2011, le rapport du Comité national d'évaluation du RSA (CNE) estime que 49% de bénéficiaires potentiels du RSA ne le demandent pas : 35% pour le RSA socle et 68% pour le RSA activité. On constate donc un important taux de non-recours au RSA 1. Par non-recours on entend le fait de ne pas obtenir les prestations ou les services publics auxquels on est éligible (Math & Van Oorschot, 1996). Ce phénomène n'est pas une particularité du RSA, il est structurel et se retrouve dans beaucoup de prestations sociales (Odenore, 2012 ; Warin, 2006). Il est en partie lié au temps nécessaire d'installation, propre à la mise en oeuvre d'un nouveau dispositif. La montée en charge du revenu minimum d'insertion (RMI) avait, par exemple, pris trois à quatre ans. Pour donner un exemple, une enquête avait estimé le taux de non-recours au RMI à 53% (Terracol, 2004). La notion de non-recours renvoie au différentiel existant entre une population potentiellement éligible et la population effectivement bénéficiaire. Elle met en exergue le fait qu'une offre publique, élaborée pour répondre à un besoin identifié par les pouvoirs publics, ne parvient pas à atteindre l'ensemble de ses destinataires et ne répond donc que partiellement au problème qu'elle entend résoudre. Le fait de ne pas recourir à ses droits constitue, en soi, un rapport particulier à l'offre publique et aux institutions qui la servent. Comprendre le non-recours contribue à « rendre audible » (Mazet, 2010) les représentations et les opinions qu'a une partie de la société sur l'offre publique. Pour l'action publique, ce phénomène de non-recours induit non seulement un enjeu gestionnaire d'effectivité de l'offre de prestations monétaires (impacts prévus/impacts réels), mais également une question politique, aussi bien quand il signale un désintérêt ou un désaccord que lorsqu'il est l'effet d'impossibilités (Warin, 2010). Le non-recours interroge donc fondamentalement l'offre publique et intervient comme un indicateur d'évaluation de la performance et de la pertinence d'un dispositif, mais aussi du système administratif qui le déploie. Dans les faits, le non-recours restreint l'impact des politiques visant à réduire la pauvreté. L'accumulation de situations de non-recours aux prestations et aux aides sociales s'analyse en effet comme l'une des causes aggravant les situations de pauvreté (Fragonard et al., 2012 ; Warin, 2009, 2010a). 1 Des estimations du nombre de foyers bénéficiaires de RSA ont été faites en 2007 par un groupe de travail composé de la Direction des statistiques, des études et de la recherche (DSER) de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), de la Direction de la recherche des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et la Direction général du trésor (DGT).