La dictature, le capitaine et le général (Brésil, 1964-1985) (original) (raw)
Le régime qu'a connu le Brésil entre le coup d 'État d'avril 1964, qui renverse João Goulart, et mars 1985, lorsqu'est élu le président civil Tancredo Neves 1 , a depuis le milieu des années 2000 changé d'appellation. Dans les rencontres universitaires et, de plus en plus fréquemment, dans l'espace public, on ne parle plus de coup d'État et de dictature militaires, mais de coup d'État et de dictature civil-militaires 2 . Cette nouveauté sémantique, d'une importance politique et mémorielle considérable, a plusieurs origines. Ceux qui l'emploient entendent échapper à une dichotomie manichéenne qui oppose, d'un côté, les coupables de la terreur d'Etat qui seraient également les détenteurs exclusifs du pouvoir (« les militaires » dans leur ensemble) et, de l'autre, une société civile surveillée, contrôlée, mise au pas, globalement opposante et intégralement victimisée. Cette nouvelle appellation répond donc d'abord à une préoccupation politique : élargir le spectre des responsabilités, en attirant l'attention du public sur les nombreux appuis civils dont la dictature a effectivement bénéficié (pour partie encore détenteurs de pouvoir politique, économique et médiatique aujourd'hui) 3 ; et mener une réflexion collective sur la grande popularité de la dictature dans l'opinion, en particulier au moment du coup d'État et des années du « miracle économique brésilien » qui furent aussi celles des années de plomb (1969)(1970)(1971)(1972)(1973)(1974). La nouvelle appellation affirme donc un droit d'inventaire ; elle incite également la communauté universitaire à s'intéresser à d'autres domaines de recherche que les * Université Paris-Est, ACP (EA 3350) 1 Tancredo Neves, élu le 15 janvier 1985, n'exerça jamais le poste de président : tombé subitement malade la veille de son investiture, il décède le 21 mars 1985. Le vice-président José Sarney, qui avait été de longue date un soutien du pouvoir militaire, accède alors à la présidence du pays. 2 Le principal défenseur de cette nouvelle expression est l'historien Daniel Aarão Reis. Voir par exemple son article dans le journal O Globo du 31 mars 2012, disponible à l'adresse : http://oglobo.globo.com/blogs/prosa/posts/2012/03/31/a-ditadura-civil-militar-438355.asp 3 Le coup d'État a ainsi été appuyé par la majorité des médias et les partis politiques de droite (notamment l'Union Démocratique Nationale) et applaudi par la bourgeoisie et des classes moyennes, descendues dans les rues par millions en des « Marches de la Famille, avec Dieu pour la Liberté » de rejet du communisme et d'acclamation des militaires. Le soutien d'une partie de la classe politique permet en outre, tout au long du régime, le maintien d'un cadre légal (Congrès, partis, « élections » régulières bien que totalement contrôlées par l'armée) et l'attribution à des civils de certains domaines de compétences (comme les politiques économiques).