L’entretien d’écrivain à la radio (1960-1985). Formes et enjeux, s. dir. P.-M. Héron & D. Martens, dossier KOMODO21 (original) (raw)
Au sein de la vaste logosphère créée par la radio au cours du XXe siècle, l’entretien d’écrivain est en France un genre « légion », abondant aussi bien en quantité qu’en diversité. Mode déterminant de la médiation de la littérature dans l’espace public, ce genre, produit de la civilisation du journal avant d’être, aussi, celui de la radio et de la télévision, accompagne l’histoire des lettres dans les mutations à la fois médiatiques et commerciales qui l’affectent. La pratique de l’entretien fait son apparition sur les ondes dès les années 1920 ; les Radio-Dialogues de Frédéric Lefèvre sur Radio-Paris de 1930 à 1940, dérivés de sa célèbre série Une heure avec… publiée dans Les Nouvelles littéraires, lui donnent son premier lustre. Le genre est particulièrement florissant dans les années 1950, qui voient naître à la fois le phénomène médiatiquement majeur des entretiens-feuilletons et l’entrée en scène de la télévision en noir et blanc, associant les écrivains dans son grand rendez-vous littéraire Lectures pour tous (1953-1968). Dans les années 1970-1980, radio et télévision se partagent les deux séries d’entretiens culturels les plus populaires : Radioscopie de Jacques Chancel sur France Inter (1968-1982, 1988-1990) et Apostrophes de Bernard Pivot sur Antenne 2 (1975-1990). Les années 1980 marquent un tournant majeur dans cette histoire à épisodes : si les écrivains continuent de répondre aux sollicitations de ces deux médias « historiques », les émissions culturelles grand public leur font indéniablement moins de place, tandis que les émissions purement littéraires se raréfient hors de France Culture, transformée malgré elle en radio de niche. Une page se tourne alors. Ce dossier a choisi de s’intéresser à l’étape qui suit celle de l’après-guerre et que, en considérant comme indicateur l’évolution institutionnelle du format le plus original et spécifique du médium, l’entretien-feuilleton, on peut identifier aux années 1960-1985. Deux dates en marquent symboliquement le début et la fin : la naissance de France Culture à la toute fin de 1963, la réforme de la chaîne à la rentrée 1984. Pour faire droit à la diversité des formes d’entretien rencontrées, les études sont réparties en deux volets. Le premier revient sur l’entretien-feuilleton, Inventée par Jean Amrouche en 1949, cette forme explose au début des années 1950 grâce au succès des entretiens Léautaud/Mallet et Claudel/Amrouche, en s’ouvrant déjà à des formules variées, avant d’entrer dans une phase plus routinière… Ce qui ne l’empêche cependant pas de perdurer deux décennies encore, sur un format souvent réduit oscillant entre quatre et douze émissions, jusqu’à la stabilisation en 1985 au format d’À voix nue (cinq émissions sur une semaine). Durant la deuxième partie de son existence, à une époque, elle bénéficie désormais d’une tradition relativement bien fixée, qui conditionne les usages des écrivains aussi bien que des hommes de radio, tout en s’ouvrant à des renouvellements et à un véritable foisonnement (dont témoigne l'inventaire proposé dans le dossier). Le second volet du dossier est consacré aux émissions d’entretiens dans lesquelles les écrivains sont des intervenants potentiels, une forme sérielle d’entretien, donc, qui fait revenir non pas le couple de l’écrivain et de son intervieweur mais l’intervieweur seulement (producteur(s) de l’émission, animateur(s), chroniqueur(s)…). Ces émissions manifestent la richesse des usages et combinaisons possibles de l’entretien d’écrivain dans les médias audiovisuels, avec d’un côté des émissions exclusivement littéraires et d’autres d’ambition plus généraliste ; avec aussi des émissions uniquement constituées d’entretien(s) (avec lectures ou citations de livres), de l’autre celles qui incluent seulement, à des endroits variables, une séquence dialoguée.