Traduire et créer: l'expérience proustienne de Pedro Salinas (original) (raw)

Pour nombre de traducteur, Proust est souvent considéré l'un des auteurs parmi les plus difficiles à aborder 1 . Le premier du monde à s'être confronté à cette délicate tâche a été le poète espagnol Pedro Salinas, lorsqu'il a commencé, en 1920, la traduction du premier volume de la Recherche. Sa traduction a été publiée, en Espagne, sous le titre Por el camino de Swann en 1921, aux Editions Calpe que dirigeait le philosophe Ortega y Grasset. Il traduit, l'année suivante, le deuxième volume de la Recherche. 2 Cinq ans plus tard, en 1926, ce poète de la génération du 1927 publie son premier recueil de récits, Víspera del gozo, qui est immédiatement jugé comme "proustien" à cause de son aspect fortement psychologique et des longues phrases qui composent les récits. Notre réflexion sur l'expérience proustienne du poète espagnol Pedro Salinas a pour vocation de s'inscrire dans la théorie « du sujet traduisant » envisagée par Antoine Berman. Cette théorie qui reconnaît à chaque traducteur sa propre « position traductive », lierait les différentes positions «à la position langagière des traducteurs : leur rapport aux langues étrangères et à la langue maternelle, leur être-en-langue » 3 . L'intérêt principal de notre étude réside, donc, non pas en une comparaison entre le texte orignal et sa traduction, mais plutôt en une comparaison qui met en résonance le texte traduit avec d'autres productions, en prose et en poésie, du traducteur-auteur. Pedro Salinas n'est pas seulement un intermédiaire négatif qui dénature le texte d'origine, comme certains ont voulu le croire, au vu des nombreuses erreurs imputées à sa traduction. Par ailleurs, les traductions des deux premiers volumes de la Recherche, sont désormais considérées comme patrimoine culturel espagnol et sans cesse republiées, tout comme les traductions de 1925 du premier traducteur anglais de Proust, C. K. Scott Moncrieff, le sont pour la langue anglaise. Ces toutes premières 1 Cf. le témoignage de quelques traducteurs de la Recherche, in « Proust traduit et retraduit » table ronde animée par Y. Zhang, in Septièmes assises de la traduction littéraire (Arles 1990), retraduire Dickens et Proust, Atlas, Actes Sud, 1991 pp. 21-50. 2 Marcel Proust, Por el lado de Swann (1920) et A la sombra des las muchachas en flor (1922), Calpe (Compañía Anónima de Librería, Publicaciones y Ediciones), Madrid : ces deux volumes ont été intégralement traduits par Pedro Salinas. En revanche, il ne collaborera que partiellement à la traduction à quatre mains du troisième volume avec José María Quiroga Plá (El mundo de Guermantes, Calpe, 1931) 3 Antoine Berman, Pour une critique des traductions: John Donne, Paris, Gallimard, 1995, p. 75.