Le germe grec dans la philosophie de Castoriadis (original) (raw)

Le nomos comme auto-institution collective – Le ‘germe grec de l’autonomie démocratique chez Castoriadis

Y. Couture et M. Breaugh (dir.), Les anciens dans la pensée politique contemporaine, Québec, P.U.Q., pp.69-117, 2010

Ainsi que le rappellent avec justesse les présentateurs du premier recueil des séminaires portant sur « ce qui fait la Grèce », l'oeuvre de Cornelius Castoriadis a souvent été accusée par ses détracteurs de verser dans un certain « hellénocentrisme » 1 , se traduisant par la surestimation de « l'origine grecque » comme source privilégiée de la tradition démocratique occidentale, d'une part, et par la promotion indue de cette forme historique particulière au rang d'universel, d'autre part 2 . Sans prendre partie sur cette question complexe, il reste possible de donner acte à Castoriadis de sa réponse, qui consiste à rappeler un fait objectif : sa réflexion consistante dans la durée et multidisciplinaire dans la forme (puisant aux savoirs conjugués et articulés de la philosophie, de l'histoire, de la science politique, de l'anthropologie ou de la psychanalyse) a trouvé son inspiration dans le « mouvement ouvrier contemporain » 3 (ainsi que le démontre, dira-t-il, la lecture des « trois mille pages » qu'il a écrites au sein du mouvement Socialisme ou Barbarie, lesquelles comporteraient « en tout et pour tout une allusion à Thucydide et une autre à Platon »), et il n'aurait commencé vraiment à travailler sur la démocratie athénienne qu'à partir de 1978. On peut donc déduire à bon droit de ce rappel, suivant en cela les explications de Castoriadis luimême, que le « retour aux anciens » effectué au cours de son travail de pensée devrait être interprété comme un approfondissement de son questionnement à propos des problèmes contemporains, bien plutôt que le fondement initial d'un positionnement idéologique et intellectuel ultérieur. Néanmoins, d'une certaine manièrece qui illustre la complexité de la question -, l'importance à partir de 1978 du travail de Castoriadis sur le monde grec, sa connaissance de la langue, sa familiarité ancienne avec les textes et les mythes 4 , et surtout la radicalité de sa lecture invitent au final à identifier dans ce qu'il nomme à plusieurs reprises « le germe grec » un moment originel d'une importance cruciale, auquel correspond un basculement anthropologique fondamental, aux effets indissolublement politiques, philosophiques, esthétiques, religieux, etc. Que cette découverte ait eu lieu « sur le tard », à partir d'interrogations liées aux situations les plus actuelles de la démocratie, de la bureaucratie, du socialisme ou de la subjectivité, n'est pas contradictoire avec le fait que Castoriadis y aperçut sans nul doute l'incarnation historique primordiale et durable d'un principe théorique et normatif, retrouvé par la suite de façon autre dans la dynamique moderne : l'auto-institution collective, qui noue ensemble dans un penser / faire / agir libre la valeur d'autonomie, l'activité politique (démocratique) et la faculté de philosopher.

C.Castoriadis et le cercle de la création

Revue européenne des sciences sociales, n. 86, 1989

Personne de nos jours n'a insisté plus que Castoriadis sur la question de la création humaine comme création social-historique, à savoir comme vue radicale de la société et de l'histoire en tant qu'autocréation. Cette question constitue à mes yeux le fil conduc-teur aussi bien de ses analyses et prises de position politiques que de ses réflexions philosophiques. Leur point d'origine commune est sans doute sa « préoccupation constante, avec la question révolution-naire, la question de l'autotransformation de la société » .

La théodicée développée sur le thème du larcin des Grecs : origine du mal, liberté et Providence chez Clément d’Alexandrie (Stromates I 17,81-87)

Clement of Alexandria's Theodicy explaining God's attitude toward « the Greeks' Theft » : Origin of Evil, Human Liberty and Providence in Clement of Alexandria (Stromateis, I 17, 81 – 87) Clement of Alexandria deals with the origin of evil in his controversies mainly with heretics, and incidentally with pagans. The theory of the Greeks' theft of a spark of the Christian truth provides him with an excellent opportunity to tackle this issue. Indeed this theory implies defending God for allowing a crime to be committed, the consequences of which, namely the birth of philosophy, are perceived as harmful by Clement’s adversaries. The Alexandrian launches, therefore, into a theodicy based on two connected and inseparable ideas. On the one hand he attributes the responsibility of evil only to the acting person (the Devil or a fallen angel in this case, or the human being in general) who is conceived as always free to choose and act as he will. On the other hand, Clement depicts Providence not only as the producer of only good, but also as the design which embraces the entire universe and whose ultimate end is to transform the evil committed by certain individuals into something beneficial to mankind as a whole. Besides the biblical quotations and the reminiscences of early Christian literature, Clement's demonstration exploits the arguments supplied by the philosophy which he primarily wanted to defend. The reasoning supporting his theodicy is indeed essentially borrowed from the Stoic theological and moral discourse. By making some decisive choices within this discourse and by integrating it into the Christian framework, Clement eventually proposes a specifically Christian definition of sin and Providence. The following article describes the polemical context as well as the way in which this thought, developed throughout the Stromateis, is outlined in the seventeenth chapter of the first book.

Idée de révolution et faire révolutionnaire chez Cornelius Castoriadis

Cahiers Société, 2019

La philosophie politique de Cornelius Castoriadis est aujourd’hui réactualisée par nombre d’auteurs qui s’y réfèrent afin de jeter des bases théoriques à un renouveau des institutions politiques qui seraient plus aptes à faire face aux défis que nous impose le XXIe siècle. C’est dans ce contexte que nous proposons de revisiter sa théorie de la révolution. Pour ce faire, nous commencerons par la présentation de sa conception de la révolution, tant du point de vue historique que conceptuel. Nous exposerons par la suite les conditions objectives de possibilité qu’il met de l’avant, lesquelles sont agencées avec le désir comme conditions subjectives du passage à l’acte révolutionnaire. Nous verrons alors que celui-ci est pensé comme un faire dont le philosophe place en son centre la créativité dans et pour l’histoire.