Conférence Etats et sociétés post-soviétiques en guerre : regards croisés (Programme) (original) (raw)

En 1991, la dislocation du bloc soviétique amène à l’indépendance des quinze Etats composant l’URSS dont certains sont, depuis la fin des années 1980, en proie à des conflits sécessionnistes sur leur territoire. La fin du compromis ethno-fédéral soviétique signe, dans ce contexte d’érosion du pouvoir et de délocalisation du centre administratif et politique, la résurgence de revendications territoriales par certaines groupes ethniques dans les anciennes républiques de l’Union Soviétique. La qualification de ces conflits est un enjeu majeur pour les acteurs en lutte. Ainsi, le conflit territorial dans l’Est de l’Ukraine ne recoupe pas une différence ethnique, bien que le critère identitaire soit invoqué dans les discours de justification de l’intervention russe. Les enjeux de qualification de ces guerres sont à ce titre en partie révélateurs de l’univers de sens des acteurs impliqués au travers des représentations de l’historicité de ces conflits, et des modes de mobilisation des populations. Ainsi, pour s’émanciper d’une lecture ethnicisante ou fonctionnaliste de ces conflits, induite par le renforcement de la présence directe et indirecte de l’acteur russe dans l’expériphérie soviétique, nous proposons ici de nous pencher plus particulièrement sur les conséquences de ces conflits territorialisés sur les sociétés avec leur système politique en reconversion dans ces contextes de fragmentation du territoire. Les conflits dans l’espace postsoviétique présentent un intérêt comparatif majeur à partir de l’étude des modalités d’entrée en guerre, de leurs conséquences sur les structures sociales, les capitaux et les rapports entre les champs sociaux. En considérant l’Etat comme l’instance principale définissant la valeur relative des capitaux et les rapports entre les champs, la mise en place d’ordre sociaux et politiques alternatifs sur un même territoire national amène à des évolutions des structures sociales, à la constitution de plusieurs économies de capitaux, et des conséquences sur leur mode de convertibilité. Ces transformations expliquent l’émergence d’une nouvelle « économie de la violence » 1 par l’apparition de groupes de vigilantisme se juxtaposant à l’action de l’Etat dans le maintien de l’ordre public, ou le développement de certains capitaux. L’appartenance à un groupe paramilitaire ou de soutien à des acteurs militaires permet notamment la constitution d’un capital social spécifique. Enfin, certains acteurs du conflit sont en position de transformer leur capital militaire en capital économique ou en politique. Toutefois, dans le cadre de cette approche par le bas il est nécessaire de distinguer les dynamiques induites par l’éclatement de l’Union Soviétique et les évolutions structurelles inhérentes à ces conflits. Ces trajectoires invitent notamment à s’interroger sur la pertinence de l’utilisation de la définition wébérienne de l’Etat et à repenser l’instauration d’une nouvelle « économie de la violence » comme un phénomène participant à sa formation par stabilisation des interactions entre les groupes d’acteurs pouvant user de la violence. Au cours de cette journée seront donc étudiées certaines dynamiques des guerres en Ukraine, en Tchétchénie et en Géorgie, au prisme d’une grille d’analyse et d’une méthodologie centrée sur les pratiques, les représentations et les trajectoires des acteurs, sur les modes de gouvernance et le fonctionnement des institutions dans la guerre, ainsi que sur les transformations de l’Etat à travers une série de questionnements croisés sur ces différents terrains.