"Récrire" la domination coloniale : l'usage du plagiat dans Le devoir de violence de Yambo Ouologuem (original) (raw)

Livre culte, livre maudit : Histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem

Continents manuscrits, 2018

pour le texte et son architecture © Ayants droit de Yambo Ouologuem pour les documents de sa main © Le Seuil ou ayants droit respectifs de leurs auteurs pour les autres documents L'auteur remercie Madame Ava Ouologuem, Monsieur Ambibé Ouologuem, les Éditions du Seuil, les Éditions Gallimard, l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine, Madame Simone Schwarz-Bart, Maître Georges Kiejman pour leur confiance et Céline Gahungu, Claire Riffard, Michelle Garcin pour leur aide et soutien. En septembre 1968, paraît aux Éditions du Seuil le roman d'un jeune Malien inconnu de vingt-huit ans : Yambo Ouologuem. Le 18 novembre suivant, Le Devoir de violence obtient le premier prix Renaudot attribué à un écrivain africain. Son succès est rapide et, traduit dans dix langues, l'ouvrage dépasse les frontières, des États-Unis au Japon. Mais le 5 mai 1972, le Times Literary Supplement (TLS) londonien accuse l'auteur de plagiat à l'encontre de l'écrivain britannique Graham Greene. Un scandale éclate. Il poursuivra Yambo Ouologuem jusqu'à sa mort en 2017. Cinquante ans après la première édition du Devoir de violence et alors que le roman reparaît au Seuil dans la collection « Cadre Rouge » qui l'avait accueilli à l'origine, quarante-six ans, mois pour mois, après le début de l'« Affaire Ouologuem » dans le TLS, qu'en est-il du bien ou mal-fondé des rumeurs qui ont surgi, en sens divers, sur la genèse et le traitement éditorial de ce livre culte devenu livre maudit ? S'appuyant sur le seul dossier solide à ce jour 1 , celui des archives du Seuil déposées à l'IMEC (Institut Mémoires de l'Édition contemporaine) et rendues publiques pour la Livre culte, livre maudit : Histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem Continents manuscrits, HS | 2018 10 Plus intrigante dans la perspective des remous qui agiteront la réception du Devoir de violence de 1968, une remarque évoque « idées, citations, formules » que « l'auteur semble Livre culte, livre maudit : Histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem Continents manuscrits, HS | 2018 La conclusion est écrite à la main par le lecteur : « [abréviation illisible] hélas. Je dis hélas parce que j'ai vu l'auteur, sympathique et qu'il m'a déclaré avoir mis cinq ans à "composer" cette chose ». Ouologuem aurait donc, selon lui, entamé l'écriture de ce roman en 1958, à dix-huit ans. Le manuscrit est rejeté et une lettre de refus est envoyée en octobre au lycée Henri IV. « Il faudrait toutefois suivre l'auteur » Moins de six mois plus tard, Yambo Ouologuem présente un nouveau manuscrit au Seuil. Cette fois, un recueil de poèmes : « La salive noire ». Le sous-titre en est « Histoires à chanter ». L'auteur donne cette fois pour adresse « FOM », 47 boulevard Jourdan à Paris 14 e , c'est-à-dire la Maison de la France d'Outre-Mer à la Cité internationale universitaire. À l'inverse du manuscrit précédent, celui-ci aborde des thèmes « noirs ». Le rejet, communiqué oralement à l'auteur le 12 mars 1964, n'en est pas moins, lui aussi, brutal : la note de lecture 10 parle de « toc » et de « truc ». « Ce petit étudiant », écrit la lectrice, « a lu très vite et pêle mêle 11 Césaire et Prévert et ses frères de l'Anthologie africaine et malgache.… et à partir de cela tantôt on enfile des perles et tantôt on casse et concasse ses phrases… » Yambo Ouologuem ne se décourage pas pour autant. Prolifique et rapide, il envoie un nouveau roman le 4 novembre 1964. : « Humble soif ». Ici aussi, il y a une présence « racialisée » et une dramaturgie qui lui est liée. Le protagoniste est un métis, marié à une jeune femme blonde, de père allemand nazi et de mère suédoise. Leur amour « se heurte à l'opposition farouche » du père de la jeune femme et au « racisme latent des européens 12 ». La note de lecture qualifie l'écriture « d'un formalisme excessif », avec de « longues périodes éblouies, métaphores toujours lyriques […qui] s'écoutent et semblent se satisfaire d'un bel académisme 13 ». Elle conclut cependant qu'il « faudrait, toutefois, suivre l'auteur ». C'est le sens de la lettre de refus envoyée à l'auteur le 8 décembre 1964 par Christiane Reygnault qui a déjà signé la lettre de refus du premier manuscrit de 1963 et de « Salive noire » quelques mois plus tôt : « Il est bien apparu que ce texte constituait une étape positive dans votre travail ». Pour atténuer la déception de l'auteur, Christiane Reygnault termine en écrivant : « L'écriture est une entreprise de patience autant que de passion 14 ». Yambo Ouologuem ne manque ni de l'une, ni de l'autre. Et il semble prendre davantage de temps avant de présenter un nouveau manuscrit. Le 20 avril 1967. Comme adresse de correspondance, Yambo Ouologuem-qui, en treize ans d'échanges ayant laissé des traces dans les dossiers du Seuil, aura multiplié les adresses-donne le 42 rue Descartes dans le cinquième arrondissement de Paris. Précédé de « Présence Africaine » : l'adresse est en effet celle du siège, à l'époque, de la célèbre revue et maison d'édition fondée par Alioune Diop et autour duquel gravitent les intellectuels africains et antillais et leurs sympathisants, d'Aimé Césaire 15 à Jean-Paul Sartre. Ce n'est pas à Présence Africaine que paraîtra le manuscrit de 1967. Mais bien au Seuil. Car cette fois, le manuscrit ira jusqu'à la publication. Ce sera Le Devoir de violence. Livre culte, livre maudit : Histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem Continents manuscrits, HS | 2018 « Vous êtes condamné à écrire un chef d'oeuvre » Le chemin vers la publication ne sera, cependant, pas exempt de rebondissements. Une note de lecture par un certain Weber-non datée mais rédigée entre le 20 avril et le 24 mai 1967, date de la réponse mentionnée à l'auteur-est négative 16 : La forme de ce roman participe de la compilation (recueil de documents) et de la narration orale (récitation ponctuée d'interjections…). Ainsi différents styles s'enchevêtrent sur le fond d'une geste naïve : Discours politiques, documents ethnographiques, dialogues diplomatiques, scènes amoureuses, considérations philosophiques, sorcellerie, pornographie, esquisse de la société française, analyses sociologiques, lettres… autant de textes spécifiques reliés dans un mouvement que l'auteur voudrait « un » et dont on pourrait dire qu'il est celui d'un certain désarroi devant la réalité africaine. Livre culte, livre maudit : Histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem Continents manuscrits, HS | 2018 « Vivre, c'est s'aveugler sur ses propres dimensions » Le travail de remodelage du manuscrit et les échanges entre Bastide et Ouologuem ont commencé d'ailleurs bien plus tôt. Une lettre du premier 25 au second, envoyée à Présence Africaine et datée du 31 août 1967, en témoigne :

Plaidoyer pour une appropriation de la littérature coloniale par les historiens de l'Afrique

AKOFENA, 2021

Les sources pour l'écriture de l'histoire de l'Afrique en général et l'histoire de la colonisation de l'Afrique en particulier sont multiples et inépuisables. Cependant, il existe encore d'innombrables matériaux susceptibles de contribuer à l'élargissement de cette discipline. dans cette optique, la littérature coloniale, sous l'angle des récits de vies et carnets de voyages, se présentent davantage comme des sources de premiere main pour l'historien que de simples romans d'aventure. Cet article que le roman colonial, après être passé au crible de la méthode historique, intègre définitivement la famille des sources, des documents de premiere main.

Les origines coloniales de la violence

Genèses , 2020

Cet article analyse les ressorts structuraux et socio-biographiques des engagements d’hommes ordinaires dans des violences extrêmes à partir du cas de 62 combattants de l’Organisation armée secrète jugés pour avoir assassiné 129 personnes à Mostaganem à la fin de la guerre d’Algérie. En croisant l’analyse socio-spatiale des cycles de ségrégation et l’analyse prosopographique des parcours combattants, l’article montre que la violence trouve son origine dans l’organisation de cette ville coloniale moyenne du littoral algérien. Le modèle proposé repense également les liens entre structures et événement guerrier en montrant que le conflit algérien s’inscrit dans un ordre colonial qu’il matérialise et exacerbe.

Pourquoi (re)lire les ‘littératures coloniales’ ? (à propos de la République démocratique du Congo) [version SIELEC]

Études de littérature coloniale et postcoloniale, 2024

Extraits de la version rédigée d'un exposé donné à l'Université de Kinshasa en octobre 2024. Après avoir rappelé qu'il était, d'une manière générale, hors de question de rééditer en librairie générale la littérature coloniale et pour quelles raisons, on analyse néanmoins l'intérêt scientifique que peut représenter pour le chercheur et l'historien de la littérature congolaise, l'étude de ces corpus. Excerpts from the redacted version of a lecture given at the University of Kinshasa in October 2024. After recalling that it was, in general, out of the question to republish colonial literature in general libraries and for what reasons, we nevertheless analyze the scientific interest that the study of these corpora may represent for the researcher and historian of Congolese literature.

Oralité et colonialité au prisme de la diglossie littéraire réunionnaise

Congrès Mondial de Linguistique Française, Université Paul Valéry, Montpellier, 2020

Si l'histoire des rapports entre écriture et oralité met en perspective des agencements permanents, la Modernité occidentale a donné une place prépondérante à la littératie. Dans la France hexagonale des XIXè et XXè siècles, la tradition orale et les langues régionales ont alors connu une dépréciation au profit de la langue nationale écrite. En même temps que des pratiques oratoires telles que la rhétorique et la poésie orale étaient exclues de l'enseignement, les écrits en langue minoritaire, particulièrement s'ils étaient à visée littéraire, étaient assignés à la littératie vernaculaire et la culture populaire. Le retour contemporain de l'oralité, particulièrement visible dans l'émergence du slam, se heurte donc au statut prépondérant donné à l'écrit et à la langue hégémonique. Dans les sociétés coloniales françaises, le système scripturaire a également été conçu comme un instrument de civilisation, mais réservé à une élite favorable au système colonial. La scolarisation a donc été basée sur la francisation, restreignant ainsi l'éducation des subalternes à une littératie rudimentaire. Ce processus de minorisation a eu des conséquences sociolinguistiques importantes dans les territoires français d'Outre-mer, qui conjuguent diglossie et colonialité. A l'Île de La Réunion, où le créole est la langue première de la majorité de la population, le rapport à l'écrit et à la langue dominante a ainsi longtemps participé d'une exclusion des textes créolophones de la littérarité. Il faudra attendre la fin du XX è siècle pour que soit remise en cause une littératie monolingue et que la tradition orale créole retrouve sa propre historicité linguistique et culturelle. Abstract. Orality and coloniality through the prism of the Reunionese literary diglossy. By developing an overview of the permanent historical arrangements that define the relation between writing and orality, we seek to demonstrate that Western Modernity assigned to literacy a predominant status. In France, during the XIX th and the XX th centuries, oral tradition and regional languages have been depreciated in favor of the written national language. As oratory practices like rhetoric and oral poetry were excluded from schooling, literary writings in minorized languages were assigned to vernacular literacy and folklor. The contemporary comeback of orality, particularly noticeable in the emergence of slam poetry, meets with the predominant status given to written and hegemonic language. In the French colonial societies, the scriptural system was also conceived as an instrument of civilization, but reserved for an elite favorable to the colonial system. Learning was therefore based on francization, thus restricting the education of subalterns to rudimentary literacy. This minorization had important sociolinguistic consequences on French Overseas Territories, 1 philippe.glatre@sorbonne-nouvelle.fr

Ecrire les dictatures : l'exemple de deux romans africains

Nombreux sont les pays africains à avoir connu des régimes autoritaires des années durant après les indépendances (1960-1990). Même s'il existe d'importantes différences dans chaque type de régime, la plupart d'entre eux sont marqués par un déficit de légitimité, une tendance à l'autoritarisme et la domination des militaires (Gazibo, 2010, 63-88), ce qui a conduit à parler couramment des dictatures africaines.En 1979, le roman du congolais Sony Labou Tansi, La vie et demie , marque les esprits en venant secouer le lecteur avec une peinture crue de la violence charnelle subie par un peuple oppressé par une succession des régimes totalitaires. Presque vingt ans plus tard, en 1998, l’Ivoirien Ahmadou Kourouma s’attaque au grand dictateur de la République du Golfe ainsi qu’à ses homologues des pays voisins d’une manière aussi crue que le faisait l’écrivain congolais.

De l'usage de la citation et du plagiat dans les productions écrites des étudiants francisants : l'exemple en Roumanie

Francophonie en Turquie, dans les pays balkaniques et de l'Europe orientale XL (2004) 509-518, 2005

Two kind of frequent written activities of Romanian advanced students are described in this paper: these are quotation and plagiarism in french dissertations done for research degree. Both are used by students for the production of their final text, almost homogeneous, avoiding to use all complex rules necessary to the text generation, which rules are very often ignored by these students because appropriate exercises for writing are missing in their programs. We analyse a typical example of quotation and plagiarism and we try to understand and to describe the particular educational context in Romania. Our conclusions suggest how to give an officially recognition to these stigmatised activities in order to insert them in a real curriculum of training for writing. Dans cet article, on étudie deux activités rédactionnelles fréquentes dans les mémoires de fin d’études des étudiants roumains francisants : la citation et le plagiat. L’une et l’autre se combinent pour produire un texte relativement homogène qui allège considérablement les lourds processus de génération textuelle que les étudiants ne peuvent maîtriser, faute d’entraînement. Après l’analyse d’un exemple type, on cherche à comprendre les raisons de cet état de fait dans le contexte particulier de la situation éducative puis des propositions sont faites pour que ces activités officiellement condamnées puissent devenir des activités reconnues qui s’inséreraient dans un programme de perfectionnement à la rédaction écrite.