Rico Christophe, Le traducteur de Bethléem : le génie interprétatif de saint Jérôme à l’aune de la linguistique (Lectio Divina, 270), Paris, Cerf, 2016. — RB 2018, 124-129. (original) (raw)

Voici un petit livre qui pose de bonnes questions, à travers un constat : « La Bible apparaît dans l'histoire comme le paradigme de toute traduction. » Et la Vulgate de Jérôme en est un cas exemplaire, mais mérite-t-il encore le titre de « prince des traducteurs » ? Pour aborder une évaluation de cette oeuvre, C. Rico propose d'abord un parcours depuis l'Antiquité. Après une présentation d'ensemble, l'introduction retrace le contexte théo-rique de l'époque : Y at -il un étage supérieur de la pensée qui rende toutes les langues équivalentes ou interchangeable ? Non, bien sûr, sauf peut-être quelques nomenclatures univoques, distinctes de phrases. Mais qu'est-ce que parler ? Les théories du signe commencent avec Platon : son point de départ est la notion d'énoncé (λόγος), qui combine noms et verbes pour dire quelque chose. Après lui, Aristote procède autrement : il part des mots, qui symbolisent des représentations de la pensée ; pour lui, le nom n'a que le pouvoir de signi-fier ; de même l'énoncé, lequel a en outre le pouvoir d'affirmer ou de nier. Par la suite, les stoïciens, réfléchissant sur le processus de l'acquisition du langage, partiront du signe phonétique pour aller à la réalité signifiée, puis à la chose elle-même. Puis Augustin s'attache à l'acte de parole, où il distingue la parole prononcée, qui est passagère, de la pensée intérieure verbalisée, qui est perma-nente ; il ajoute la réalité que désignent ces deux éléments du signe, qui peut être un mot ou un énoncé. Thomas d'Aquin le prolonge en distinguant plusieurs étapes entre la chose (res) et la parole prononcée : il y a d'abord une intellection intérieure, puis un modèle mental de ce qui va être dit. Par la suite, les ré-flexions se prolongent dans diverses directions : pour les nominalistes, seuls existent les individus, les concepts n'ayant pas d'existence extramentale, ce qui s'oppose au réalisme d'Aristote ; au contraire, pour les logiciens de Port-Royal, l'énoncé est d'abord un jugement sur une réalité. Enfin, Saussure au XX e siècle introduit une distinction essentielle entre langue et parole : alors que la repré-sentation se rattache à l'acte de parole, la langue n'est qu'un potentiel de signes propres à une société donnée, qui associent des signifiants acoustiques à des réseaux de signifiés. Ainsi apparaissent avec netteté les problèmes de traduction de langues anciennes : un texte est comme un acte de parole figé, mais la langue qui l'a émis a disparu avec la société associée. Le premier chapitre expose les diverses attitudes des Anciens, qui ont laissé de nombreuses traductions. Illustrés par Cicéron, les Latins distinguaient entre le transfert mécanisable des mots d'une langue à l'autre (interpretari) et la tra-duction soucieuse de transmettre exactement le message (vertere). Il s'agit donc d'un art, qu'on peut mesurer lorsqu'on dispose de deux traductions du même ouvrage, mais l'on hésite parfois à fixer une préférence. L'ancienne traduction syriaque de la Bible est moins littérale que les suivantes ; c'est le contraire pour l'ancienne traduction latine, comparée à la Vulgate. La collection classique