Le jeune Hegel et la pensée des Lumières.docx (original) (raw)

Dans ce qui est son premier écrit significatif, rédigé en 1792-1793, puis publié par Nohl en 1907 sous le titre Fragment de Tübingen, Hegel semble reconnaître que les Lumières et leur critique religieuse ont eu un rôle positif : « L'entendement éclairé », dit les textes, « a produit des fruits magnifiques, comme le Nathan de Lessing », et « il mérite les éloges par lesquels on l'a toujours exalté ». Reste que s'il peut rendre les hommes plus avisés, ou plus intelligents (klüger), l'entendement ne saurait les rendre meilleurs, et qu'en ce sens, il demeure foncièrement étranger à toute sagesse pratique. D'où une critique des Lumières qui va encore s'accentuer, à Francfort, dès lors que Hegel, abandonnant le kantisme de ses premiers textes, en vient à reprocher à Kant d'avoir substitué à la tyrannie extérieure du Dieu de l'Ancien Testament, la tyrannie intérieure que constitue la soumission à l'impératif catégorique. Quel sens attribuer, cependant, à cette distance croissante envers l'Aufklärung ? Faut-il parler de rupture, et dire, comme R. Legros dans son ouvrage Le jeune Hegel et la naissance de la pensée romantique, que Hegel adopte à Francfort une position « romantique » ou « préromantique », proche de celle de Hölderlin, mais dont le fondementune « ontothéologie de la sensibilité spirituelle » inspirée par Jacobi et par Herderest déjà à l'oeuvre dans les textes de Tübingen et de Berne ? Ou faut-il plutôt souligner, comme le fait C. Jamme dans un article intitulé « Tout défaut d'amour est violence. Le jeune Hegel, Hölderlin et la dialectique des Lumières », que la critique de la religion rationnelle, accusée de négliger le coeur, le sentiment et l'imagination, correspond chez Hegel, non à un rejet, mais à une radicalisation de la problématique des Lumières, qui, loin de vouloir leur substituer la mythologie, ne cherche au contraire qu'à les étendre et à les universaliser « par la mythologie et avec son secours » ?