Une passion dans le desert (original) (raw)

Une passion dans le désert : Aillaud, Arroyo et Recalcati à la Maison Balzac Pour sa dernière exposition avant une fermeture d'un an pour travaux, la Maison de Balzac a réussi le pari de réunir treize tableaux du cycle Une Passion dans le désert (1965) réalisée simultanément par Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati d'après la nouvelle éponyme de Balzac. Si ce trio est connu c'est davantage grâce à une autre série intitulée Vivre et laisser mourir ou la Fin tragique de Marcel Duchamp, exécutée, en suivant le même processus collaboratif, quelques mois plus tard la même année. Cet ensemble figurant la mise à mort de Marcel Duchamp fut présenté lors de l'exposition Figuration narrative dans l'art contemporain à la galerie Creuze à Paris et provoqua un scandale immédiat 1. Lors de l'accrochage, les artistes participants à cet événement eurent des échanges virulents quant à l'élimination du père du Ready Made qui aboutirent à la signature d'une pétition contre cette oeuvre. Suivant une chronologie et une temporalité précises, les tableaux figurent le lynchage de Duchamp, sa mise à nu et son enterrement ainsi que trois reproductions de ces oeuvres phares : le Nu descendant l'escalier, Fountain et le Grand Verre. Redoublant de critique, après la mise en bière, le cercueil est porté par des émissaires du Pop Art et du Nouveau Réalisme – Warhol, Arman, Oldenburg et Raysse, entre autres. Tout comme Duchamp, les artistes du Pop Art étaient perçus par les acteurs de la Figuration Narrative comme les chantres de la classe bourgeoise rendant stérile et hermétique la culture. Les nombreux voyages qu'il effectue en Asie et en Afrique du Nord lui donnent l'occasion d'approcher l'exotisme et les animaux sauvages de près « Assassiner un vieillard est une chose laide et qu'on n'accomplit pas, en dépit des apparences, d'un coeur léger. Mais la misère interdit tout luxe, et Marcel Duchamp incarne aujourd'hui d'une manière si indue, et non par hasard, ce dont précisément l'humanité est le plus dépourvue : l'esprit d'aventure, la liberté d'invention, le sens de l'anticipation, le pouvoir de dépasser, que nous avons eu envie d'intervenir 2 », écrit le trio en guise d'introduction du texte accompagnant l'exposition. Si cette série est aujourd'hui remarquable par l'émotion qu'elle a suscitée dès sa première exposition, il n'en demeure pas moins que la plus confidentielle Passion dans le désert est l'oeuvre donnant véritablement naissance au mouvement de la Figuration Narrative. En ce sens, la Maison de Balzac propose au visiteur une double lecture (seuls quelques puristes et connaisseurs peuvent se targuer d'une relecture) : à la fois celle du court roman de Balzac, publié pour la première fois en 1830, racontant la rencontre et l'amour d'un homme et d'un félin et celle d'une oeuvre picturale novatrice s'affranchissant de la signature de l'artiste et recouvrant une puissance de récit.