L’AUTORITÉ DU PROPHÈTE DANS LA RISĀLA D’AL-ŠĀFIʿĪ (original) (raw)
de la vie juridique, aucune règle fixe et décisive n'existait […] la génération des « suivants » n'était pas très fixée même en ce qui concerne les prescriptions légales édictées par le Coran ». 1 L'originalité de la thèse de Goldziher réside alors dans l'idée que le fiqh est issu de l'opinion des oulémas (ra'y) et non de l'Iǧtihād des compagnons pour interpréter le Coran et la sunna. 2 Cette thèse fera l'objet de nombreuses critiques, notamment par Harald Motzki. Ce dernier met en avant l'idée que la perception de la naissance de l'Islam et du fiqh est influencée par la prise en compte ou non du Coran comme source. H. Motzki affirme également que la thèse de Goldziher ne rompt pas avec les travaux de ses contemporains tels que Sachau ou Von Kremer d'un point de vue méthodologique mais davantage par la prise en considération de la sunna prophétique dans l'analyse 3 . Enfin, H. Motzki met en avant la critique des sources faite par Goldziher, critique à géométrie variable et à la méthodologie historique douteuse, rendant caduque toute sa théorie 4 . L'orientaliste allemand et figure majeure du révisionnisme, Joseph Schacht, vient apporter une nouvelle vision du fiqh en 1950 dans son oeuvre The Origins of Muḥammadan jurisprudence. J. Schacht met en avant la nouvelle interprétation des fondements du droit musulman qui fais suite aux travaux d'al-Šāfiʿī, affirmant que la théorie classique des quatre sources du droit, à savoir : Coran, Sunna, consensus de la communauté (iğmāʿ) et raisonnement analogique (qiyās) furent acceptés après al-Šāfiʿī 5 . D'après Schacht, al-Šāfiʿī a notamment permis l'institution de la sunna qui était un point de discorde avec ses opposants sur la base que toute tradition relative au Prophète ne peut être délaissée que si une autre tradition la « contredit » : « He begins by stating his case : « Every tradition related by reliable persons as going back to the Prophet, is authoritative and can be rejected only if another authoritative tradition from the Prophet contradicts it » 6 . La thèse de Schacht (qui reprend les travaux de Goldziher) met en avant l'idée que la formation du fiqh est impulsée par al-Šāfiʿī qui a instauré la sunna du Prophète comme seule autorité à suivre 7 . J. Schacht met également en avant l'idée qu'al-Šāfiʿī a imposé le suivi de toute tradition prophétique, sans questionnement ni raisonnement : « According to al-Šāfiʿī the traditions from the Prophet have to be accepted 1 I. Goldziher, Études sur la tradition islamique, p.87 cité par M. Yahia, Šāfiʿī, et les deux sources de la loi islamique, p. 25. 2 H. . 13 « Lorsque l'authenticité de pratiquement toute décision du Prophète est contestée, un vide est présumé, ou plutôt crée, dans l'histoire de l'évolution du droit au sein de la société musulmane des premiers temps ». Voir N. J. Coulson, Histoire du droit islamique, p. 63. 14 « Schacht's conceptions, in substantive points, are no longer tenable or are greatly in need of modification ». Voir H. Motzki, The Origins Of Islamic Jurisprudence, p. XI. 9 s'oppose sur d'autres points, notamment sur l'idée que la pratique administrative omeyyades serait la principale constituante du début du droit musulman. Malgré le succès de la théorie de Schacht, des critiques sur cette théorie ont aussi été émises et d'autres théories se sont développées. Dans le courant révisionniste, nous pouvons citer notamment Patricia Crone et son ouvrage Roman, Provincial and Islamic Law, ouvrage dans la lignée de Hagarism. P. Crone tente de mettre en avant l'influence de la loi juive dans l'élaboration de la šarī'a. Du côté des anti-révisionnistes (ou positivistes), nous pouvons citer Harald Motzki qui propose une nouvelle méthode d'analyse des hadiths dans son ouvrage Analysing Muslim Traditions. Ainsi, nous avons aujourd'hui deux courants qui divisent les recherches sur le fiqh avec d'un côté les révisionnistes qui rejettent la tradition arabomusulmane et de l'autre, les positivistes qui usent de ces sources et prônent leur validité dans une analyse scientifique. Cet ensemble est le résultat d'un regroupement d'études qui s'est essentiellement construit au XXe siècle avec notamment l'important travail de Joseph Schacht. Enfin, abordons également les études centrées sur al-Šāfiʿī et son apport aux uṣūl alfiqh. Nous notons d'importantes divergences chez les spécialistes du droit quant à l'apport d'al-Šāfiʿī au droit et aux fondements du droit. Revenons sur Schacht dans un premier temps. Ce dernier affirmait, comme nous l'avons vu, que l'apport d'al-Šāfiʿī était important, notamment par l'institution de la sunna comme source de droit, là où ses prédécesseurs se basaient sur une tradition dite vivante ; ainsi, selon Schacht, al-Šāfiʿī a permis le passage d'une loi basée sur le consensus des savants à une loi basée sur la tradition. Bernard G. Weiss reprend les travaux de Schacht, s'accorde avec lui sur l'influence d'al-Šāfiʿī et sur la désignation d'al-Šāfiʿī comme pionnier de la jurisprudence islamique, mais cherche à spécifier l'influence d'al-Šāfiʿī, affirmant notamment qu'à travers la Risāla il a permis le passage d'une science à transmission orale à une science à transmission écrite, tout en affirmant qu'il ne faut pas minimiser l'influence des travaux propres aux hanéfites 15 . Christopher Melchert revient sur l'importance accordée à al-Šāfiʿī dans son ouvrage The Formation of the Sunna School of Law et affirme plusieurs choses : d'une part que la Risāla ne devrait pas être attribuée à al-Šāfiʿī mais à l'école šāfi'ite car elle fut publiée plus d'un siècle après la mort de son créateur. D'autre part, s'accordant avec la vision de N. Calder, Melchert met en avant l'influence tardive de la Risāla, que ce soit dans la pratique du droit, mais 15 B. G. Weiss, The Search for God's Law, p. 17-19.