Rébellions post-féministes : représentations de genre dans les films de science-fiction dystopiques destinés à un public adolescent (original) (raw)

Oppression masculine et construction du genre : Le point de vue de la science-fiction critique

Divergences2, n°38, 2014

À l’heure où les droits des femmes sont battus en brèche dans des pays comme l’Espagne qui, au nom d’une morale empestant le franquisme, regarde dans le rétroviseur pour légiférer sur l’avortement, il n’est pas interdit de penser au présent quand on parle des futurs imaginés par la science-fiction. C’est ce que de nombreux auteurs et auteures d’anticipation critique ont voulu exprimer dans leurs ouvrages en précédant ou en reprenant à leur compte les propos de sociologues féministes comme Christine Delphy pour qui « l’ennemi principal » n’est pas nécessairement l’homme ou le capitalisme mais bien le patriarcat comme système de domination et d’exploitation

Aventurières en jupon : féminité, amour et stéréotypes dans les fictions de jeunesse contemporaines pour filles

L'aventure est traditionnellement une affaire d'hommes. Le panthéon du genre regorge de héros virils, peu enclins à s'encombrer de compagnes enjuponnées. Les choses sont toutefois un peu différentes en littérature de jeunesse, où le vent de l'aventure souffle sur les oeuvres destinées aux petites filles dès Les Vacances (1859) de la Comtesse de Ségur, mais il est vrai que c'est à la faveur de l'arrivée à Fleurville de plusieurs représentants du sexe fort : trois cousins amateurs de pêche, de chasse aux papillons et de cabanes, et deux rescapés d'un naufrage dont les récits ouvrent l'espace du domaine à celui de la robinsonnade. En 1865, c'est pour une petite fille, Alice Liddell, que Lewis Carroll imagine le croisement générique de l'aventure et de la féerie, qui devait connaître un succès retentissant tout au long du XX e siècle. En 1900, Dorothy marchait sur les traces d'Alice en parcourant, sous la plume de Lloyd Frank Baum, le merveilleux pays d'Oz. Parce que le partage des genres s'impose commercialement aux productions pour la jeunesse, elles contribuent à rééquilibrer la balance des sexes sur le terrain de l'aventure. Les productions récentes font d'ailleurs la part belle aux héroïnes féminines jusque dans des ouvrages destinés aux garçons aussi bien qu'aux filles. Que l'on songe à Sally Lockart et Lyra Bellacqua chez Philip Pullman, à Camille Duciel, alias Ewilan comme à Ellana chez Pierre Bottero, à Logicielle, l'experte en informatique de Christian Grenier, ou encore à Lara Croft, la pulpeuse archéologue de Tomb Raider. On pourrait sans doute parler dans ce cas de fictions neutres sur le plan de l'identité de genre, les codes de l'héroïsme masculin étant appliqués à des personnages féminins qui permettent aux jeunes lectrices de se projeter en eux. Comme en grammaire, toutefois, le neutre bénéficie nettement au masculin et aucune de ces oeuvres ne saurait être valablement considérée comme destinée aux filles. C'est plutôt par leur côté « garçon manqué » que celles-ci peuvent être séduites. L'aventure pour filles suppose une adaptation des codes au public féminin, et une prise en compte romanesque de préoccupations caractéristiques de celui-ci. Le marquage ne peut donc se faire qu'au prix d'une forme de stéréotypie, ou du moins d'une réponse à des attentes supposées. D'une certaine manière, l'aventure féminine doit donc, pour s'affranchir des clichés de l'aventure masculine, lui en substituer d'autres. C'est ce qu'avait déjà fort bien compris Edward Stratemeyer en lançant en 1930 les aventures de Nancy Drew, signées du pseudonyme collectif de Caroline Keene. Il faut dire que la série visait à capitaliser auprès des jeunes lectrices le succès de The Hardy Boys, lancés quatre ans plus tôt, dont les mystères policiers avaient déjà séduit les filles. Concevoir un produit romanesque à leur intention, c'était déjà jouer sur l'affichage de préoccupations féminines ou prétendues telles. Quatre-vingts ans plus tard, et alors que ces clichés ont été vertement fustigés pendant plusieurs décennies, force est de constater qu'ils perdurent, et même qu'ils opèrent un retour en force. Un état des lieux s'impose, que j'esquisserai ici en tâchant de comprendre quel usage en font les auteurs contemporains.

La Révolution (Netflix) comme symptôme du transmédiatisme dans une fiction historique

Transcr(é)ation

Deux cents ans après, la Révolution française survit sur nos écrans par les films, les docufictions, les séries télévisées et les jeux vidéo. Les représentations du passé s’inscrivent dans une filiation iconographique et fictionnelle dont il est possible de remonter la trace. Nous proposons de nous servir des mythologies contemporaines pour mener une généalogie de l’image. Plus précisément, nous nous intéresserons à la série-télévisée La Révolution (Molas et Guasti, Netflix, 2020) afin de comprendre dans quelle filiation artistique et culturelle elle s’inscrit. Cette œuvre raconte les origines fantastiques de la Révolution qui aurait été causée par un virus, le Sang bleu, propagé par des vampires aristocratiques. La série française serait la transposition d’un manga japonais vers un arrière-plan révolutionnaire. Pour appréhender toutes les inspirations des auteurs, nous nous appuierons sur des sources de conception, comme les entretiens et les critiques. Ainsi, nous voulons démontre...

Entre féminisme, technologie et science-fiction : le cyborg (2012)

*English version follows. Résumé Cette réflexion sur le cyborg, mythe développé par la féministe américaine Donna Haraway dans « A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century » (Simians, Cyborgs and Women: The Reinvention of Nature, 1991), émerge au carrefour des discours féministes, des technologies et de la science-fiction. Dans cet article, il s’agira d’expliquer l’émergence et de définir le mythe cyborg pour ensuite proposer une lecture du cyber-féminisme – et plus largement le post-féminisme –, discours à partir duquel le mythe tire son origine. Finalement, il sera intéressant de voir dans quelle mesure le cyborg est non seulement un concept servant à discuter l’identité, à l’exemple des « femmes de couleur » citées par Haraway dans son manifeste, mais également une écriture qui concerne plus spécifiquement le pouvoir de survivre à la différence. Abstract This study of cyborg as a myth developed by the American feminist Donna Haraway in “A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century” (Simians, Cyborgs and Women: The Reinvention of Nature, 1991) emerges at the crossroads of feminist theory, technology, and science fiction. The aim of this article is to explain and define the cyborg myth, and then to propose a lecture of cyberfeminism-and to a large extent of postfeminism- from which it originates. Finally, it will be of interest to see to which extent cyborg is not only a concept used to discuss identity, as for the “colored women” cited by Haraway in her manifesto, but also a writing which concerns more specifically the power to survive to difference.

Cyborgs, monstres et chrysalides. Pour une nouvelle représentation du corps féminin dans les œuvres de Lee Bul : entre théories féministes et post-genre

GRAAT n°22, 2019

Lorsque Donna Haraway rédige son Cyborg Manifesto en 1984, elle propose un nouveau modèle de penser à la fois la femme et les rapports entre êtres humains, la condition féminine mais aussi les dualités de genre dans une dynamique autorisant une réflexion post-genre et technologique. Choisissant la figure hybride du cyborg, être autonome, entre humain et mécanique, symbole d’indifférenciation, la théoricienne pose les jalons d’une allégorie culturelle, esthétique et artistique du corps féminin. Influencée par l’aspect féministe et sociologique des propos d’Haraway, l’artiste contemporaine coréenne Lee Bul s’empare de cette figure cyborgienne dans ses créations artistiques et plus particulièrement dans ses performances et sculptures. Née en 1964, lors de la dictature militaire dans la Corée du Sud (1953-1987), l’artiste sort diplômée de l’Université Hongik de Séoul en 1987. Dès cette époque, elle exprime son intérêt pour les dérives de l’idéalisme porté par les rapports entre humain et technologie. Il s’agit pour elle de construire un discours esthétique à partir de la représentation et de l’incarnation d’un corps féminin renouvelé. Les œuvres de Bul témoignent de l’évolution de ce corps, dans ses images, ses fonctions et ses appréhensions, dans une société empreinte d’inventions robotiques et d’innovations bio-technologiques. La créature cyborgienne est définie par Donna Haraway comme : « un organisme cybernétique, un hybride de machine et d’organisme, une créature de la réalité sociale et une créature de fiction » (Haraway, 2007, 268). Cette définition correspond à de nombreuses œuvres de Lee Bul, notamment dans les séries Cyborgs1 et Monsters réalisées à partir de 1997, et permet d’élaborer un discours féministe alternatif grâce à cette figure artistique mythique et iconographique. À travers ses performances, sculptures et installations, Lee Bul dénonce les conséquences d’une société patriarcale dans laquelle l’image de la femme est construite par et pour le regard masculin, dans un idéal de perfection corporelle biaisé, imposé par la circulation du pouvoir au sein d’une société post-industrielle. L’artiste fait du cyborg un symbole de la différence et de l’altérité permettant une réflexion sur la notion de post-genre qui, jusqu’à présent ne définissait que des réalités marginales émergeantes, mais qui désormais s’impose dans les différentes disciplines des sciences humaines et sociales. En analysant ces représentations artistiques du corps féminin cyborgien au prisme des questions féministes et post-genre, il s’agit d’essayer de répondre à la question posée par le philosophe Thierry Hoquet : « À travers cette figure s’ouvre une question ou un paradoxe : comment cette figure produite au XXe siècle par le complexe militaro-industriel, amplifiée par l’industrie culturelle hollywoodienne, transpirant le néofordisme et l’idéologie néo-libérale reagano-thatchérienne, peut-elle se trouver investie, au XXIe siècle, dans des pratiques d’émancipations ? » (Hoquet, 2011, 47-48). Il sera donc nécessaire de revenir sur l’émergence de la figure du cyborg, avant d’étudier sa place dans les théories féministes de Donna Haraway. L’analyse des œuvres de l’artiste Lee Bul, ses premières performances, puis ses sculptures et installations de cyborgs et de monstres, permettront de comprendre l’inscription de la représentation du corps féminin au cœur de la société et des théories post-genre.

Femmes, genre et sciences : du sexisme moderne ?

2013

La recherche sur les inégalités de sexe dans les sciences connaît un développement exponentiel depuis les années 1980. Un premier corpus porte sur la démarche scientifique en elle-même, s'interrogeant sur les effets des inscriptions sociales des individus dans le processus de production des connaissances, ainsi que sur le rôle historique des sciences dans la reproduction et la légitimation des inégalités de sexe. Un deuxième corpus s'intéresse aux parcours professionnels des femmes et, notamment, à leurs difficultés d'accès aux échelons supérieurs de la carrière scientifique et aux éventuelles spécificités dans leurs manières de « faire science ». Ces recherches se sont développées dans la foulée des mouvements sociaux des années 1970, contre l'exclusion des femmes du pouvoir. Or les activités scientifiques occupent une place stratégique dans les « économies de la connaissance » et c'est en Doeuff, 1998 ; Mosconi, 1994]. Un champ de recherche marqué par une pluralité de perspectives d'analyse

Métadiscours scientifiques sur le genre : comment éviter la noyade théorique et trouver des bouées conceptuelles pour surnager en analyse de discours ?

Pratiques et langages du genre et du sexe : déconstruire l'idéologie sexiste du binarisme, « Proximités - Sciences du Langage » Collection dirigée par Philippe Blanchet., 2016

Nous proposons ici de restituer de façon synthétique une analyse pensée depuis presque 20 ans sur le lien entre "genre grammatical" et "sémiotique des sexes" (Perry depuis 1997) en nous focalisant sur la compétition théorique des métadiscours scientifiques sur le genre. Nous montrerons tout d’abord en quoi les paradigmes identitaires reproduisent le système hiérarchique du genre en déplaçant "les autres" vers l’étrangeté ou la différence (déplacement du stigmate de/sexe/). Nous proposerons ensuite de repenser la théorisation sur le lien sexe-genre à partir d’un nouveau glossaire terminologique qui pourrait être opératoire en analyse de discours.