"Connaître et transformer": Le Théâtre de l'opprimé comme praxis (original) (raw)
2019, Les Cahiers de pédagogies radicales
Auteure : Sophie Coudray (enseignante-chercheuse en études théâtrales) Le Théâtre de l'opprimé est une forme théâtrale militante élaborée par le dramaturge et metteur en scène brésilien Augusto Boal dans les années 1970 -prenant racine dans son parcours au sein du Teatro Arena, entre 1956Arena, entre et 1971(1) -et permettant à des nonprofessionnels du théâtre (des « non-acteurs ») d'utiliser un « arsenal » de techniques et d'exercices dans le but d'affronter collectivement des problématiques politiques, d'en débattre, mais aussi de s'organiser pour agir. En tant qu'il s'articule autour d'une analyse objective des mécanismes de l'oppression, tenant compte de son caractère structurel, mais aussi du fait qu'il vise à mener une réflexion stratégique en vue de s'organiser collectivement pour lutter contre celle-ci, on peut considérer le Théâtre de l'opprimé (TO) comme une praxis, qui est, dans l'acception que lui donne Paulo Freire, « réflexion et action des hommes sur le monde pour le transformer(2) ». Au-delà de la formule de Boal, présentant le TO comme une « répétition de la révolution(3) », nous entendons dans cet article déployer une (re)lecture de la poétique de l'opprimé, ainsi que mener une réflexion sur ses ressorts théoriques et ses usages, à l'aune de la notion de praxis, telle que définie par Paulo Freire. Ce retour au projet originel du TO nous mènera tout d'abord à étudier le TO en tant que méthode et pédagogie théâtrale, élaborée à partir d'un précepte, très répandu dans le contexte qui l'a vu naître, qui est celui du refus de la passivité. Puis, nous envisagerons le TO comme un théâtre de la conscientisation, une notion empruntée à Paulo Freire. Pour finir, nous nous emploierons à penser la problématique de l'action transformatrice, qui constitue le second terme de la dialectique de la praxis. Ce cheminement au sein de la poétique de l'opprimé permettra non seulement d'en éclaircir les enjeux théoriques et politiques, mais également d'en explorer certains écueils et notamment celui sur lequel achoppe le TO depuis plusieurs décennies, à savoir la vérification de l'hypothèse d'un continuum entre la pratique théâtrale et l'intervention politique. Ce développement sera précédé d'un préambule, visant à revenir sur quelques malentendus et raccourcis de pensée fréquemment rencontrés dans le sillage du TO et qu'il convient de rectifier avant d'entrer plus avant dans notre réflexion.