CHOPARD Thomas, Le Martyre de Kiev-1919. L'Ukraine en révolution entre terreur soviétique, nationalisme et antisémitisme, Paris : Vendémiaire, 2015 ; 285 p. (original) (raw)

2017, Connexe, Les espaces postcommunistes en question(s)

À l'approche du centenaire de la Révolution russe, on ne peut que constater le retard persistant de l'historiographie française dans ce domaine et particulièrement en ce qui concerne la guerre civile. Pendant longtemps, la seule histoire disponible en français était celle du défunt militant d'extrême-droite Dominique Venner 1. Ultérieurement, Jean-Jacques Marie a fait mieux que de rééquilibrer le paysage éditorial. En brossant le tableau des conflits entre Rouges, Blancs mais aussi Verts (bandes paysannes) à partir de la documentation exhumée après 1991, il a fourni une introduction utile et vivante 2. Toutefois, l'aspect de la question qui a connu un véritable renouvellement historiographique est celui des violences, avec le courant initié par Nicolas Werth. Il reste qu'en intitulant sa contribution au fameux Livre noir du communisme « Un État contre son peuple », il présentait les événements de 1917 à 1922 moins comme des affrontements que comme un processus unilatéral de répression 3. Tout en s'inscrivant dans cette lignée, le livre de Thomas Chopard élargit la perspective en retraçant l'ensemble des antagonismes qui ont agité la région de Kiev en 1919. Travaillant à une thèse sur les violences contre les populations juives d'Ukraine de 1917 à 1924 (thèse qu'il a depuis soutenue avec succès), Thomas Chopard maîtrise les sources et s'appuie ainsi sur un vaste corpus d'archives soviétiques conservées à Kiev et à Moscou, complété par celles des organisations juives. Le choix d'évoquer Kiev est judicieux car la ville est à l'épicentre du conflit : elle change de mains neuf fois entre janvier 1918 et mai 1920. L'an 19 voit se succéder les nationalistes ukrainiens de Petlioura, les bolcheviks puis les troupes blanches de Dénikine, avant la victoire quasiment définitive des Rouges en décembre. En culminant avec une vague de pogromes d'une cruauté sans précédent 4 , cette année marque assurément le pire moment de la guerre civile. Après avoir fait le portrait d'une ville multiethnique, T. Chopard entreprend d'écrire une « histoire au ras du sol » de l'année terrible. La « ville convoitée » est un enjeu pour des belligérants qui entendent « conquérir et administrer » (p. 23). La conquête est le résultat d'opérations militaires qui terrorisent la population. Elle sera ensuite soumise aux exactions des troupes victorieuses, exactions prenant le caractère d'une vengeance sur les représentants des autorités déchues. La prise en main de l'administration locale, avec un subtil dosage d'épuration et de recyclage du personnel, est effective comme affirmation d'un pouvoir et elle permet la prise de mesures idéologiquement symboliques. Par contre, elle échoue à remettre en ordre de marche les infrastructures utiles à la population.