Eschatologies philosophiques du temps présent (original) (raw)

L'eschatologie ou la responsabilité du temps présent

in Game over ? Reconsidering eschatology, C.Chalamet, A. Dettwiler, M. Mazocco, G. Waterlot (Eds), Berlin, De Guyter, 2017, pp. 149-160., 2017

L'eschatologie, bien qu'étant discours sur la fin des temps, n'est pas sans influence sur la manière dont nous percevons notre présent, et sur celle dont nous agissons dès aujourd'hui dans le monde. Elle est donc intimement liée à un second discours : celui de l'éthique, qui prend pour objet nos actes et leur légitimité. Or, ce lien est essentiellement problématique. Kant, déjà, relève son ambiguïté dans la Religion dans les limites de la simple raison. Le Salut représente une hypothèse moralement nécessaire. Cependant, c'est aussi à partir de celle-ci qu' apparaît le risque d'une fausse religion. En effet, selon Kant, il convient d'agir pour se rendre digne du Salut, mais non pour, ou en vue de, celui-ci. Dans ce second cas, la perspective eschatologique maintient notre intention dans l'égoïsme, quand bien même notre acte serait extérieurement conforme à la loi morale. Elle ruine alors la possibilité même de toute action véritablement morale. Levinas, quant à lui, n'a pas de mots suffisamment sévères pour critiquer les discours eschatologiques : « Le rêve messianique, et même le simple rêve de justice où peut se complaire la niaiserie humaine, promet des réveils pénibles » 1. L'eschatologique est ici assimilé à l'utopique au sens péjoratif du terme, celui de rêve, voire de chimère. Et la critique est facile : si l'on attend d'un futur hypothétique qu'il nous apporte la justice, au lieu d'oeuvrer pour la faire advenir ici et maintenant, il y a de grandes chances que nous nous trouvions déçus. Mais le différend est en réalité plus profond. Levinas cherche à penser l'éthique comme responsabilité infinie, responsabilité de chacun à l'égard de tous, qui s'imposerait chaque instant, entière et incessible. Il affirme de cette responsabilité qu' « elle m'oblige comme irremplaçable et unique. Comme élu » 2. La responsabilité du Bien m'incombe entièrement, sans que je puisse m'en remettre à un autre, un mieux placé, une institution, ni même à aucun Messie quel qu'il soit. En ce

LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DE LA DÉMOCRATIE MODERNE

Les fondements philosophiques de la démocratie

Légende de la couverture : « Victrix causa deis placuit, sed victa Catoni » Lucain, de Bello civili, I, 128 1. 1. Ce mot intriguait Hannah Arendt, qui l'attribuait par erreur à Caton. Il devait servir d'épigraphe au troisième livre de « The life of the mind » et fut retrouvé sur la machine à écrire de la philosophe après sa mort. Racine l'utilise plaisamment dans Les Plaideurs. Édouard HUSSON Professeur des Universités unies par un même culte et n'ayant pas fauté. Si la communauté des noms marque assurément une parenté, il serait spécieux de voir en la démocratie grecque ou en la Respublica romaine, l'ancêtre directe de notre république. Où trouver celui-ci ? Au Moyen-âge, quand la féodalité et la monarchie dominent en Occident, l'existence d'une « République » à Venise atteste-t-elle une démocratie perdue au milieu des royaumes ? L'examen attentif des institutions du Rialto réduit à néant cette analyse : cette République n'a de républicain que le nom. Il s'agit en réalité d'une aristocratie : reguntur per paucos divites, le pouvoir est aux mains de quelques riches. Paul Alazard 19 montre bien comment la « République » est née de l'affirmation du pouvoir personnel du Doge : afin de s'affranchir de l'autorité de l'empereur byzantin, le Duc de Vénétie appuie la sienne sur l'élection, dès le « occidentale » et pourtant tous comprirent ce qu'elle réclamait : des élections, CHAPITRE I LA DÉMOCRATIE EST UNE IDÉOLOGIE 6. Un socle constitutionnel universel Deux siècles après l'exécution du Roi « très chrétien », la démocratie est devenue une référence obligée du discours politique. En effet les États qui ne font pas référence à ce thème, nous n'osons dire déjà à cette valeur, dans les documents fondamentaux sur lesquels repose leur constitution, sont désormais très rares. Cette référence est bien sûr évidente pour les démocraties occidentales. Dans le cas de la France, il est intéressant de noter que le mot « démocratie » n'est présent dans aucune constitution révolutionnaire. Par contre la notion de souveraineté de la Nation apparaît dès la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 (art. 3) ; elle est reprise dans la constitution du 3 septembre 1791 (Titre III, art. 1) qui est, rappelons-le, celle d'un royaume. Cette souveraineté « nationale » est bientôt remplacée par la souveraineté « populaire » qui apparaît dans le plan de constitution présenté à la Convention Nationale les 15 et 16 février 1793 (an II) dite « Constitution Girondine » (art. 26 et 27 du projet de déclaration des droits et chapeau du projet de constitution). Cette notion est encore reprise dans la constitution du 24 juin 1793 (art. 7 de l'acte constitutionnel), dans celle du 22 août 1795 (5 fructidor an III) sous le terme de souveraineté de « l'universalité des citoyens » (art. 17 de la déclaration des droits et art. 2 de la constitution), mais disparaît sous le Directoire avec la constitution du 13 décembre 1799 (22 frimaire an VIII). Bien sûr il n'en sera plus question sous l'empire. De même la Charte constitutionnelle de Louis XVIII du 4 juin 1814, quoique « octroyée » pour céder aux voeux de ses sujets, évite toute mention de souveraineté populaire. Celle de Louis-Philippe, Roi des Français, qui reprend l'essentiel de la précédente en la libéralisant, ne fait pourtant pas état de la dite souveraineté. donc influer sur la conception du verbe mental représentant ce titulaire. Plus, le « bagage historique » des prénoms, c'est-à-dire par qui ils ont été portés, a une influence certaine tant sur la chose que sur le concept qu'en ont les locuteurs. Cette influence peut d'ailleurs être explicitement recherchée quand on place un enfant sous le patronage d'un saint ou d'un grand personnage. Elle s'exerce alors essentiellement par la valeur de l'exemple ou de la protection supposée du patron. Ce « bagage historique » du prénom influence encore le tiers locuteur par les associations d'idées qu'il entraîne : « Adolf » est aujourd'hui « lourd à porter ». Ainsi les psychologues discourront sur l'influence du prénom sur la formation du caractère. Nous sommes ici dans l'hypothèse parfaite où le verbe vocal influe sur le verbe mental et enfin modèle la chose elle-même. Mais la véritable fécondité des mots est ailleurs. Aristote définit l'art poétique comme l'art d'imiter 13. Or si le mot est une image, il est imitation et donc « poétique » c'est-à-dire, selon l'étymologie de « poiésis » 14 , une création. De création il devient occasion de création, c'est-à-dire poétique au sens contemporain. Peut-être faut-il y voir le pouvoir d'évocation des lettres, des syllabes ellesmêmes, tel que le décrit Platon 15 , ou bien le mot devient-il lui même une musique qui enivre et féconde l'imagination. Mais plus simplement le mot permet la métaphore. Constatons tout d'abord que la pluri-signification d'un verbe vocal à l'origine étymologique unique est toujours diachronique : l'un des sens est plus ancien que l'autre, même si les deux subsistent. Dès lors le sens ancien ne peut qu'avoir influencé le nouveau : si le mot « chef » a indiqué celui qui commande aux autres après avoir signifié la partie supérieure du corps humain, c'est bien parce que celle-ci est le siège des organes qui commandent les autres membres. Si le concept peut s'analyser en la composition d'éléments entretenant un certain rapport entre eux, c'est-à-dire qu'il est doté d'une structure, alors le mot est image de cette structure, porteur de cette proportion. Dès que l'intelligence repère une structure semblable-alors même que les éléments qu'elle ordonne sont nouveaux-sourd sur les lèvres le mot correspondant : un nouveau sens est né. Le mot est alors proprement imitant, c'est-à-dire poétique 16. L'attribution de tel verbe vocal à un nouveau concept se fait « ana-logon » 17 , proportionnellement au mot. « Analogia » 18 : l'analogie qu'a l'organe de l'ouïe avec les autres sens et qui, d'après Condillac 19 , a présidé au choix des premiers signes dont sont issus les mots, régit encore l'évolution de leur signification. C'est l'analogie qui justifie la prédication successive du mot « Démocratie » à des cités aussi différentes que l'Athènes du V e siècle avant J.C. et la New York d'aujourd'hui. Mais peut-elle expliquer qu'un mot du vocabulaire politique antique soit désormais prédiqué à des vêtements ? 9. La linguistique impuissante Remarquons d'emblée que le substantif même δημοκρατία, « démocratia » n'a guère évolué dans le temps : les lettres ont franchi l'Adriatique pour devenir latines et la désinence « tia » s'est un peu transformée dans certaines langues : « tie » en français, « cy » en anglais. C'est peu. Par contre le concept semble avoir entièrement changé et notre enquête montrera d'ailleurs que dans d'autres contextes il est aussi exprimé par d'autres mots, comme « république ». La structure du concept « démocratie » des Anciens semble claire : deux éléments-pouvoir et peuple-reliés par un lien d'appartenance. La « justesse naturelle » du mot « δημοκρατία » est acquise au premier stade et nous renvoie à celles de δ μος et de κράτος au second. Rappelons que δ μος, « démos », est un « concept territorial et politique, [qui] désigne à la fois une portion de territoire et le peuple qui y vit » ainsi que le développe Émile Benveniste 20. Le sens « pays » est antérieur au sens « peuple » et la signification originelle serait « partie », « section ». Quant à κράτος, « kratos », il signifie la force qui permet de triompher au combat et, de là, la supériorité et le pouvoir. Les spécialistes débattent sur la parité d'origine de κράτος et de κρατὑς (« kratus », dur, puissant) que Chantraine, dans son dictionnaire étymologique, rattache à une racine commune exprimant la dureté (il y aurait là un bel exemple de la justesse naturelle de la vox, du verbe vocal), tandis que Benveniste y voit deux familles « contaminées » par κρατερóς (« krateros » : fort, brutal). L'évolution de la justesse naturelle de « démocratia » peut-elle rendre compte du formidable progrès de son usage ? Notons que le mot garde son acception politique technique depuis Thucydide jusqu'à la seconde moitié du vingtième siècle. Les deux éléments grecs du mot, δ μος et κράτος, sont en effet demeurés « savants » dans nos langues et n'y ont engendré quasiment aucun mot d'un usage courant qui eût pu en modifier la signification. Conservant leur caractère technique, ils sont instantanément traduits dans l'esprit du locuteur en langage courant, c'est-à-dire en « peuple » et « pouvoir ». Ce sont ces mots-là qui, polis par l'usage, ont vu se modifier considérablement le signifié : nous avons dit combien le « peuple » d'aujourd'hui est différent de celui de la cité antique. Il en va de même de la

Tristes réalismes. Exploration d'un tropisme philosophique contemporain

Vrin, 2017

My topic arose from a feeling of surprise, even stupefaction, facing the philosophical configuration of the last 30 years. Indeed, philosophical production seems to be reduced to a unique claim which we could summarize (to invoke A. Musset) by this command dictated to the children of the century: “Become realist”. Let us quote in this respect some recent titles extracted from the Italian, French, German and Anglo-American production : Manifesto del nuovo realismo (Ferraris), Realism with the human face (Putnam), Realistic spirit (Diamond), The speculative Turn, continental realism and materialism (Meillassoux, Grant, Brassier and Harman), Pour un réalisme du monde de la vie (Romano), Elements de philosophie réaliste (Benoist), Petit traité de métaphysique réaliste scientifique (Tiercelin), Realismus Jetzt (Armen), Der neue Realismus (Gabriel). Yet, except for postulating that these philosophers use the term realism flippantly or still to demonstrate that a different term unites manifold important texts today, it seems difficult, for the historian of philosophy, not to wonder about this phenomenon of crystallization, which is surprising all the more as its origins are so multiple (from the phenomenology to the philosophy of the ordinary language, and from the analytical metaphysics to continental ontology) that it transcends the divisions which structured, since 1945, our philosophic landscape (such, that between analytical and continental). It is phenomenon of crystallization that will be the object of my study. Three questions will be asked here: first of all, what does the term realism mean today for those who claim it? Or to say it another way, what are the fundamental acts which are common to all beyond diverse approaches? After we analyze these structural principles, we can discuss the difficulties and shortcomings associated with their conception of realism. Finally, while we analyze these problems, we will interrogate the unanimous definition of truth advanced by contemporary realists as well. This definition, fastening the truth to a lone reality, seems to darken one of the other faces of the truth : the truth as universality. This current eclipse of universality is problematic. Can we truly abandon the notion of universality? Can we, moreover, characterize it and specify its dynamics? Questions which will lead us to try to understand how the philosophers are less exhibitors of reality than architects of the universal. Abstracts La réflexion proposée dans cette conférence prend sa source dans un étonnement, voire une stupéfaction, face à la configuration de la philosophie de ces trente dernières années. En effet, la production philosophique paraît s’y réduire à une unique revendication, que l’on pourrait résumer par cette injonction lancée aux enfants du siècle : « Faites-vous réalistes ». Et de fait, qu’il faille être réaliste, et non plus relativiste comme dans les années 60, semble ne plus faire de doute pour bon nombre de philosophes aujourd’hui. Citons, à cet égard, quelques titres récents, extraits de la production italienne, française et anglo-américaine, soit, Ferraris : Le manifeste du nouveau réalisme ; Romano : Pour un réalisme du monde de la vie ; Putnam : Le réalisme à visage humain ; Diamond : L’esprit réaliste ; Benoist : Éléments de philosophie réaliste ; Meillassoux, Brassier, Grant et Harman : Le tournant spéculatif, réalisme et matérialisme continental ou encore Tiercelin : Petit traité de métaphysique réaliste scientifique, tous titres que condense, au final, un collectif allemand de 2013 : Le réalisme maintenant ! Or, sauf à postuler que ces auteurs revendiquent le terme de « réalisme » sans autre finalité que d’ornement, ou encore à démontrer qu’une autre notion fédère une quantité aussi importante de textes aujourd’hui, il semble difficile, pour l’historien de la philosophie, de ne pas s’interroger sur ce phénomène de cristallisation, qui est d’autant plus étonnant que ses origines sont à ce point multiples (de la phénoménologie à la philosophie du langage ordinaire, en passant par la métaphysique analytique comme continentale) qu’il transcende les grandes partitions qui ont structuré, depuis l’après-guerre, notre paysage philosophique (telle, celle entre analytique et continentale). C’est ce phénomène de cristallisation qui sera l’objet de mon étude. Trois questions seront ainsi posées : tout d’abord, que signifie, pour ceux qui le revendiquent aujourd’hui, le terme « réalisme », ou, pour le dire autrement, quels sont les actes fondamentaux qui, par-delà la diversité des approches, sont communs à tous et donnent quelque consistance à l’appellation affichée ? Peut-on, ensuite, à partir de l’analyse de ces principes structurels qui délimitent la sphère du réalisme contemporain, en repérer les apories, ou pour le dire de manière moins négative, dessiner les interrogations que suscite cette actuelle configuration, interrogations qui peuvent être conçues comme autant de pistes de recherche pour qui voudrait affermir, ou à l’inverse critiquer, cette nouvelle constellation conceptuelle ? Enfin, ces problèmes rencontrés ne nous conduisent-ils pas à revenir sur la définition de la vérité unanimement mise en avant par les actuels réalistes ? Cette définition, arrimant la vérité à la seule réalité, semble occulter l’un des autres visages de la vérité, à savoir l’universalité. Cette occultation, pour être partagée aujourd’hui, n’en est pas moins philosophiquement problématique en ce qu’elle génère de multiples contradictions au sein même des doctrines qui entendent faire l’économie de l’universel. Peut-on vraiment abandonner la notion d’universalité ? Peut-on, d’ailleurs, la caractériser et en spécifier la dynamique ? Questions qui nous entraîneront, à terme, à tenter de comprendre comment les philosophes sont moins des montreurs de réel que des architectes de l’universel

Considérations philosophiques sur quelques faits récents

Lignes, 2002

Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Léo Scheer. © Éditions Léo Scheer. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

La philosophie de l'actuel avec Foucault et Nietzsche

2015

Avec Nietzsche et Foucault, la philosophie cesse de s’interesser a l’eternel et au necessaire pour se pencher sur ce qui passe. Les genealogies devoilent la contingence des objets actuels, ouvrant a une experience de l’actualite.

Eschatologie dans la poésie de Charles Peguy

« Eschatologie dans la poésie de Charles Péguy », colloque international « Visions of Apocalypse » de Cambridge (8 mai 2011). Actes en anglais sous le titre « Eschatology in the Poetry of Charles Peguy», Visions of Apocalypse, Peter Lang, 2013.

Roma 2020 -101/4 (Fausse) Eschatologie et théologie politique

This paper focuses on the concept of false eschatology, as it appears in the work of Carl Schmitt, Gaston Fessard and Johan Baptist Metz. So far, no study has been done concerning the polemical concept of false eschatology. Zooming in on the concept of false eschatology, based on a progressive philosophy of history, refusing the idea of an end of time and appearing in three different models of political theology, this paper argues that eschatological imagery is essential in the construction of political theology and, moreover that, a false eschatology might be responsible for false political theologies. Through the mediation of the Hegelian Aufhebung, secularization is to be understood as a dialectic process, who immanentizes the eschaton in different political theologies. While the three authors agree concerning the meaning of secularization, they disagree concerning eschatological imagery and these differences may explain different political theologies.

L' archéologie du temps présent

L' archéologie est tout naturellement associée par le grand public à la décou-verte de civilisations lointaines et disparues. Pourtant, depuis les années 1970, il existe aussi une archéologie du monde contemporain, de l' archéologie indus-trielle à celle des génocides, qui collabore aussi bien avec les sociologues, les historiens, les ethnologues, les juristes qu' avec les psychologues et les artistes. Ainsi l' archéologie at -elle atteint un nouveau statut : non plus l' étude des seules sociétés du passé, mais celle de toutes les sociétés humaines à travers leurs traces matérielles. 1. VERS UNE SCIENCE AUTONOME Lorsqu' elle apparaît à la Renaissance, comme toutes les autres sciences occidentales, l' archéologie est d' abord une collecte d' oeuvres d' art grecques ou romaines découvertes au gré des travaux urbains ou ruraux. Les premières fouilles systématiques sont entre-prises à partir du XVIII e siècle, d' abord à Pompéi et Herculanum. Puis, tandis que l' archéo-logie développe ses classifications et ses méthodes, elle étend peu à peu son champ d' étude dans l' espace comme dans le temps. Au fur et à mesure de la colonisation européenne du monde apparaissent les archéologies de l' Égypte, de la Mésopotamie, puis de l' Inde, de la Chine et du Japon, tout comme des Amériques et de l' Océanie. Dans le même temps, l' archéologie remonte de plus en plus loin dans le temps, avec la découverte de formes humaines de plus en plus reculées. L' émergence de la préhis-toire n' est pas sans conséquences sur l' archéologie en général. Lorsqu' elle se cantonnait aux seules périodes où l' on disposait de textes, et même si ces textes étaient partiels et partiaux, limités pour l' essentiel à la glorification des dieux et des souverains, on la définissait volontiers comme « une science auxiliaire de l' histoire ». Seuls les historiens, qui disposaient de textes, pouvaient appréhender correctement les civilisations du passé. L' étude des sociétés sans écriture, ou bien de celles dont les écritures restaient indéchiffrées, conduisit à élaborer des méthodes autonomes, inspirées des travaux sur la préhistoire, qui furent ensuite généralisées à l' ensemble des sociétés humaines. On a pu par exemple restituer l' environnement naturel ancien et son exploitation par l' homme (grâce à la botanique, à la zoologie et aux sciences de la Terre). Ou encore, grâce à l' anthropologie physique et aux analyses physico-chimiques, reconstituer les modes de vie, l' hygiène, l' alimentation, les manières de table, etc. Ainsi, sans négli-ger les textes lorsqu' il en existe (ou tout aussi bien les oeuvres d' art réputées telles), l' archéologie est devenue une science totale et autonome, celle de l' étude des sociétés considérées à travers leurs traces matérielles – tout comme les historiens les étudient au travers de textes, ou les sociologues et les psychologues au travers de comporte-ments. De ce point de vue, rien n' interdisait que l' archéologie en vienne à s' intéresser aux sociétés contemporaines, qu' elles soient industrielles ou traditionnelles.