INTERPRÉTATIONS SOCIOLOGIQUES PARTAGÉES, TECHNOLOGIES LITTÉRAIRES ET ÉVALUATION (original) (raw)

Dans les collaborations pluridisciplinaires, voire interdisciplinaires entre sociologues et linguistes, pour l’analyse de corpus textuels importants l’une des questions classiques, des seconds s’adressant aux premiers, est : « dites-nous ce que vous cherchez pour que nous puissions vous aider ». Le sociologue précautionneux hésite, conscient de l’existence de controverses théoriques et méthodologiques et soucieux de l’accomplissement de son programme devant répondre aux diverses contraintes de pertinence tant propres à la discipline qu’au cadre souvent vaste de l’objet étudié. En effet, l’intelligence de l’objet sociologique se joue à l’interface de l’empirie et de la théorie grâce à des schèmes explicatifs pour autant que le sociologue affronte réellement l’analyse de données pour ne pas les réduire à des illustrations de ces théories et se réfugier au niveau d’une philosophie sociale ou, à l’inverse, s’il campe dans un registre narratif émaillé de “paroles d’acteurs”. Il est placé devant l’abondance de faits, confronté à une masse hétérogène de données multiples, avec des transferts possibles entre elles, exprimées en divers langages, comme par exemple des relevés de trajectoires personnelles, des dénombrements statistiques d’indices ou des croyances. De plus, les langages de formulation de ces données sont tributaires des systèmes d’action où elles s’insèrent comme par exemple des relevés de comptes, des journaux intimes, des notes ou des dessins, qui peuvent fonctionner comme les jeux de langages wittgensteiniens. Dans un rapport entre n univers empirique hétérogène et logico-théorique plus ou moins spécifié, le sociologue est donc mis devant une constellation de modalités intercorrélées qui peut être interprétée de diverses manières. D’un certain point de vue cette posture « semble spécifique aux sciences sociales, ou, en tout cas aux disciplines qui, dans les sciences de la nature aussi bien que dans celles de la société, ne sont pas réductiblesau modèle physique. Celui-ci en effet est à l’aval d’une rupture épistémologique qui soumet la construction de l’explication à la modélisation mathématique » (Berthelot 1990 : 218). À l’inverse, pour les sciences sociales le conflit des interprétations demeure. Le pluralisme philosophique et scientifique ainsi instauré contraindrait donc l’effort explicatif à des tentatives d’intégration diverses, marquant ainsi l’irréductibilité des sciences de l’homme à celle de la nature.