Combattre, tolérer ou soutenir? La société russienne face au nationalisme russe (original) (raw)

2007, Marlène Laruelle (dir.), Le rouge et le noir : Extrême droite et nationalisme en Russie

Diversifié et multiforme, le nationalisme russe pose des problèmes cognitifs majeurs à tout observateur, qu’il soit russe ou « allogène », étranger ou russien (c’est-à-dire citoyen de Russie, indépendamment de l’origine ou de l’appartenance ethnique, traduction du terme rossijskij). De quoi parle-t-on, en fait, lorsqu’on se réfère au nationalisme russe ? S’agit-il, très généralement, de toutes les manifestations d’une « conscience nationale » des Russes, quels que soient ses expressions, ses enjeux ou le degré de son hostilité envers l’Autre face auquel cette russité est définie ? Faut-il réserver cette désignation aux seuls courants qui prônent une identification ethnique des Russes, par opposition à l’appartenance civique républicaine ? Faut-il élargir sa portée aux avocats, plus ou moins modérés, d’un nouvel impérialisme russien qui, tout en reprenant des éléments du discours patriotique soviétique, n’accorderait cependant pas nécessairement une primauté absolue aux Russes au sein du nouvel Empire ? Ou bien devons-nous, au contraire, appeler « nationalistes » les seuls partis ou mouvements bien définis qui avancent les visions les plus exclusives de l’identité russe et en font des programmes politiques spécifiques – et donc en exclure des tendances intellectuelles plus diffuses ? Qu’est-ce qui, au juste, distingue cette appellation de toute la panoplie d’étiquettes dont l’usage est courant dans le débat sur ces organisations : « fasciste », « raciste », « xénophobe », « extrémiste (de droite) », « nationaliste radical » ou « ultra-nationaliste » ? Que faire, enfin, des auto-désignations courantes en Russie, mais difficiles à retrouver ailleurs, comme « national-patriote » ? Sont-elles à reprendre ou à déconstruire ? Il ne s’agit pas ici de simples questions de terminologie ayant une valeur purement théorique. Chacun des termes énumérés disposant d’une série de connotations historiques, positives pour les uns, négatives pour les autres, ainsi que d’implications légales, chaque réponse possible a des conséquences pragmatiques très concrètes et correspond à un modèle différent d’exclusion/inclusion et de légitimité politique.