Art contemporain et phénoménologie (Didi-Huberman) (original) (raw)

Comment est-ce que Didi-Huberman essaie de changer notre manière de regarder une oeuvre d'art

Dans son étude Devant l'image, Georges Didi-Huberman confronte la méthodologie traditionnelle de l'histoire de l'art, en demandant dans sa préface à l'édition anglaise, «How can we know an image, if the image is the very thing that imperils the positive exercise of knowledge? If the image is what makes us imagine, and if the (sensible) imagination is an obstacle to (intelligible) knowledge, how can one 'know' an image? » Ecrite quelques années plus tard, comme partie de la série Fables de Lieu, son oeuvre L'homme 2 qui marchait dans la couleur adresse aussi cette question fondamentale de notre manière de regarder une oeuvre d'art. En employant un véritable mélange de sources qui donnent lieu aux perspectifs de diverses provenances philosophiques, psychanalytiques, et de la critique littéraire, ainsi qu'à partir de l'art même, Didi-Huberman réagit contre la tendance strictement positiviste qu'il voit chez la pratique de l'histoire de l'art du genre Cartésien : Au lieu de chercher à établir définitivement à quoi sert une image, de la saisir , la 3 4 décoder afin de 'savoir' la lire, L'homme qui marchait dans la couleur réévalue ce qu'on entend du verbe 'voir', introduisant l'idée qu'il y a assez de perte dans l'acte de regarder une image que d'acquisition; 'voir' signifie ouvrir une image aux toutes ses significations potentielles -voire a l'infini -au contraire du clore que 'lire' engendrait forcément. Faisant appel d'abord à la phénoménologie-qu'il met littéralement en action par moyens de sa fable-en passant par la déconstruction et la théorie de l'inconscient Freudienne, Didi-Huberman discute la valeur ontologique de la perception visuelle, la présentant comme une confrontation des limites definitives et aperçues et ses savoirs préconçus. C'est entre ces bordures, artificiellement construit comme architecture de la connaissance humaine, dans un zone qu'il appel soit lieu d'après Heidegger, soit le khora chez Platon et Derrida, qu'il situe l'art, ou bien, où Didi-Huberman décrit comme où se situe l'image lui-même. Cette zone, où réside ce qu'il appelle l'Absent, c'est le lieu périlleux où l'enjeu ultime de faire face à une image soit le rapport avec L'Etre et le monde, l'essence pur de l'existence, et effectivement comment on puisse 'connaitre' la réalité.

« Présentation de "L’Art et le monde. Une esthétique phénoménologique" ». Communication présentée dans le cadre du séminaire de recherche « Recherches actuelles en phénoménologie », Université Toulouse Jean Jaurès, Toulouse, le 02/12/2021.

Présentation de L'art et le monde Introduction L'invitation m'est faite de présenter mon premier livre, L'art et le monde : une esthétique phénoménologique, publié cette année (2021) aux éditions Mimésis, dans la collection « L'oeil et l'esprit ». Ma présentation procédera en 3 temps. 1/ Dans une première partie, dans laquelle je reviendrai sur la genèse du projet, j'exposerai la première thèse du livre, qui est une thèse d'histoire de la philosophie, plus exactement d'histoire de la phénoménologie. Cette thèse veut que Maurice Merleau-Ponty, Mikel Dufrenne et Henri Maldiney versent tous trois dans ce qu'il convient d'appeler une « cosmo-théologie ». 2/ Dans la seconde partie de ma communication, je développerai ensuite la seconde thèse du livre, qui est cette fois une thèse de philosophie, touchant à l'essence et à l'origine de l'art. 3/ En conclusion, je tenterai d'esquisser les perspectives ouvertes par L'art et le monde. Je sais qu'il y a parmi nous des étudiantes et des étudiants qui préparent l'agrégation externe de philosophie et qui ont cette année pour thème à l'oral de la leçon de philosophie sur programme l'esthétique. Je précise que j'ai pensé la présente communication de façon à pouvoir être utiles aux agrégatifs. Je le dis d'emblée, la phénoménologie de l'art permet d'affronter en particulier les sujets de leçon qui lient l'esthétique et la métaphysique, l'art et la connaissance de la réalité. Je pense à certains sujets donnés en 2017 : L'art peut-il prétendre à la vérité ? L'esthétique est-elle une métaphysique de l'art ? L'art s'apparente-t-il à la philosophie ? L'art est-il un mode de connaissance ? Art et métaphysique. Quel réel pour l'art ? Je m'en tiens là pour cette énumération. Je signalerai au cours de mon intervention d'autres sujets de leçon et je ponctuerai mon propos de références à destination des agrégatifs. Première partie LA COSMO-THEOLOGIE Aux agrégatifs : ce que je vais dire dans cette première partie peut être intéressant pour des sujets au croisement de l'esthétique et de la théologie, par exemple Art et religion. Le dieu artiste. La nature est-elle artiste ? L'inspiration. On encore : L'aspiration esthétique. À l'origine, le livre devait être un simple remaniement du texte de ma thèse de doctorat. Dirigée par Renaud Barbaras et soutenue en novembre 2017, ma thèse de doctorat se donnait pour objectif d'examiner la manière dont 3 auteurs appartenant au mouvement phénoménologique-à savoir Erwin Straus, Maurice Merleau-Ponty et Henri Maldiney-tentent d'interroger ensemble, chaque fois différemment, « l'esthétique-sensible » et « l'esthétique-artistique », i.e. la théorie de la sensibilité d'une part et la théorie du beau et de l'art d'autre part, retrouvant ainsi l'unité perdue de l'esthétique. Or, au cours de la réécriture, le remaniement de ma dissertation doctorale s'est transformé en une profonde réélaboration de ma thèse, sinon en la rédaction d'une seconde et nouvelle thèse. En effet, entre temps, Erwin Straus a cédé la place à Mikel Dufrenne, et le centre du questionnement s'est sensiblement déplacé, passant de l'unité de l'esthétique à un autre thème, déjà présent dans ma thèse, quoique d'une présence marginale, et que j'appellerai aujourd'hui « le double absentement de l'artiste et de la philosophie ». Cette formule du « double absentement de l'artiste et de la philosophie » vise à poser un diagnostic sur l'histoire de la philosophie de l'art. Selon nous, le geste constant du philosophe de l'art consiste à effacer l'artiste de son raisonnement, interrogeant l'art, a/ ou bien depuis un principe transcendant qui crée à la place de l'artiste (qu'on l'appelle Dieu, la Nature, l'Être, le Monde ou la Vie), b/ ou bien depuis l'oeuvre d'art et l'expérience esthétique qu'elle suscite. Dans le premier cas, l'artiste n'a jamais créé, il est dépassé en amont par un principe transcendant créateur. Dans le second cas, l'artiste a toujours déjà créé, il est dépassé en aval cette fois par l'oeuvre d'art et le spectateur. Au bout du compte, la signification de la création artistique et la raison d'être des artistes ne sont jamais véritablement interrogées par la philosophie de l'art. Pire, les réponses que l'on donne aux questions « pourquoi des artistes ? » et « qu'est-ce que la création artistique ? » sont transies d'une forme de religiosité, à notre sens de mauvais aloi : s'il y a des artistes, c'est parce que le principe transcendant, qui n'est autre qu'un dieu, cherche à s'exprimer à travers eux ; que signifie créer, sinon pour ce principe divin, se manifester dans des oeuvres d'art ? Dans cette perspective (celle de la tradition), l'artiste se voit assimilé à un enthousiaste ou à un prophète, son oeuvre est identifiée à un oracle, et le rapport que le public-le public profane-entretient avec l'art relève de la dévotion. C'est en ce sens que le premier absentement de l'artiste s'accompagne traditionnellement, dans la philosophie de l'art, d'un second absentement, celui de la philosophie, remplacée par une mauvaise théologie. Dans un article, intitulé « L'enthousiasme et la philosophie de l'art », et disponible en libre accès sur Internet, j'ai tenté de montrer comment ce double absentement se met en place dès Platon, dans le dialogue intitulé Ion. L'un des objectifs du livre L'art et le monde est de démontrer que ce double absentement se poursuit jusque dans la philosophie contemporaine, et en particulier dans la phénoménologie, sous une forme évidemment spécifique. Je m'explique. À mon sens, il existe une affirmation sur l'art commune aux différents phénoménologues, qui fait qu'il est possible de parler de la « phénoménologie de l'art » comme d'un mouvement cohérent de la philosophie de l'art contemporaine. Je qualifie cette affirmation partagée de « cosmophanique », puisqu'il s'agit de dire qu'il y va dans l'art d'une manifestation du monde, peu importe par ailleurs le sens que les uns et les autres confèrent à cette notion de « monde ». Trois brefs exemples (sur lesquels je pourrai revenir plus longuement dans la discussion). 1/ Dans la conférence de fin 1936 L'origine de l'oeuvre d'art, Heidegger soutient que l'oeuvre d'art érige un monde et fait venir la terre, « terre » et « monde » nommant deux visages de l'être. 2/ Dans son livre Phénoménologie de l'expérience esthétique, qui date de 1953, Mikel Dufrenne ressaisit l'oeuvre d'art sur le mode d'un « objet esthétique », i.e. comme quelque chose qui exprime un monde ou une atmosphère. Ce monde de l'oeuvre d'art correspond au monde de l'artiste : l'artiste exprime dans ses oeuvres son monde, i.e. son attitude existentielle, sa manière de vivre la réalité : comiquement, tragiquement, sereinement, etc. 3/ À partir d'Art et existence, en 1985, Henri Maldiney soutient que les grandes oeuvres d'art dévoilent le « monde », i.e. l'être entendu comme ce qui fait exister les étants. Dans un tableau comme La Route de Nicolas de Staël, ce qui importe ce ne sont pas les formes, celles des arbres et de la route, mais la disparition de ces formes au profit de l'éclat des couleurs de la toile. Maldiney réfère cet éclat au monde lui-même, lumière qui fait paraître et être ce qui est. Si tous les phénoménologues tiennent donc que l'art manifeste le monde, il me semble toutefois que trois auteurs se démarquent, pour avoir poussé le plus loin l'interrogation sur l'art, à savoir Merleau-Ponty, Dufrenne et Maldiney. Loin de s'en tenir à l'affirmation cosmophanique, à la proposition selon laquelle l'oeuvre d'art fait paraître le monde, ils cherchent tous trois à fonder cette proposition sur une cosmologie, i.e. sur une philosophie du monde avant qu'il ne soit visé par une subjectivité (i.e. sur une pré-phénoménologie), laquelle cosmologie vise à rendre compte de l'avènement des artistes et donc à comprendre la puissance cosmophanique de leurs oeuvres. Si l'on veut saisir comment l'artiste peut faire paraître le monde dans ses oeuvres, il faut montrer qu'il n'est pas étranger au monde, sans quoi il serait incapable d'en manifester quoi que ce soit. La

Georges Didi-Huberman - S'involuer dans les images

historien de l'art : la réflexion qu'il mène sur les modèles théoriques qui ont façonné sa discipline tout au long de son histoire ; l'étude d'artistes, passés ou contemporains, l'examen d'opérations, artistiques ou pas, qui bouleversent ou relancent ces modèles par lesquels se définit notre expérience des images. Il s'agit à la fois de se démarquer de certaines approches, certes grandioses et incontournables -la croyance en un progrès du style chez Vasari, la constitution d'un savoir iconologique chez Panofsky -, et de poursuivre, positivement, une démarche plus inquiète, moins globalisante, soucieuse d'accompagner l'inconnu sensible auquel nous vouent une oeuvre, un objet, une trace : l'ouverture, comme chez Carl Einstein, de l'histoire de l'art à des éléments qui ne lui appartiennent pas forcément, l'agencement rigoureux, comme chez Warburg, de représentations que plusieurs siècles séparent.

Henri Maldiney : Vers quelle phénoménologie de l'art ?

La Part de l’Œil, 1991

Imaginaire ou réel, le Musée, aujourd'hui, est un lieu d'investiture. Les oeuvres qu'il abrite sont revêtues d'une dignité particulière: elles sont des paradigmes dans l'ensemble de la culture, qui, comme elle et en elle, acquièrent leur signification en prenant leur inscription dans l'histoire. Une oeuvre d'art n'a pas d'autre site. C'est dans cette perspective historique qu'elle a son horizon, sa mesure, son destin. Sa mise en vue se confond avec sa mise en place. Elle n'a sens et valeur qu'en rapport avec toutes les autres qui procèdent avec elle d'un même système évolutif dont chaque époque est une phase et chaque style un vecteur.

« Images pour que notre main s’émeuve » : Regard, écriture et survivance chez Georges Didi-Huberman

2015

Depuis plus de trente ans, l’historien de l’art et philosophe Georges Didi-Huberman s’attache a exposer les conditions d’apparition de l’image et son rapport de plus en plus problematique, « en crise », dirait-il, a la representation classique. Il s’agit dans cet article d’analyser la facon originale avec laquelle Didi-Huberman regarde une oeuvre d’art, depuis un angle toujours decale qu’il emprunte a la psychanalyse et tout particulierement a l’interpretation des reves. Entre association d’idees et vision « voyante », concentration et attention flottante, l’approche de Didi-Huberman saisit au vol (comme la phalene auquel il fait souvent reference) ce que les historiens positivistes de l’art n’apercoivent pas toujours dans une oeuvre. Se rapprochant en ce sens de Jacques Derrida qui, se tenant toujours aux abords de l’art, fait voir tout autre chose dans les « dessous » des oeuvres, Didi-Huberman convertit des lors, par une attention sensible portee a l’ecriture, le trouble qui lui ...