Korine Amacher, "La 'guerre des manuels' en Russie" (original) (raw)

Korine Amacher, « L’impact du ‘décloisonnement’ de la Russie après la guerre de Crimée dans le milieu des radicaux russes », in La Russie et les modèles étrangers, Serge Rolet (dir.), Lille, 2010

c' est un lieu commun que de constater le choc que la défaite de crimée a provoqué en russie. elle a fait prendre conscience aux russes du retard économique et social de leur pays et de l'importance d'y remédier. Dès le début du règne d'Alexandre II, la censure se relâche et de nombreuses réflexions sur les réformes à accomplir s'engagent dans les milieux cultivés et la presse russe. Dans ses Mémoires, Nikolaï chelgounov évoque longuement ce qui, pour de nombreux russes, a constitué une rupture violente avec le passé. La défaite de Sébastopol nous a « obligés à réfléchir », elle a éveillé « notre pensée critique », elle a fait sortir d'un coup la société russe du « sommeil léthargique » dans laquelle elle avait été plongée durant le règne de Nicolas I er . méconnaissance de l'histoire européenne, mais également russe, conviction que la russie est le pays « le plus grand, le plus riche et le plus puissant », capable de « soumettre tous les peuples », tel est, aux dires de chelgounov, l'univers mental des russes formés dans les écoles de l'époque de Nicolas I er , sévèrement contrôlées par l'État et soumises au dogme rigoureux de la « Nationalité officielle ». chelgounov ne se réfère bien sûr pas à la minorité instruite, et « européenne », de l'empire russe. cependant, non seulement les Mémoires de chelgounov, mais encore celles d'Ivan Krasnoperov 1 et d'Ivan Khoudiakov 2 , deux autres radicaux des années 1860, montrent à quel point la période qui suit la guerre de crimée est une période d'intense fermentation intellectuelle, de « dégel » et d'ouverture pour la société russe dans son ensemble. « Des dizaines de milliers de per-1 Ivan Krasnoperov, Zapiski raznočinca, m.-L., molodaja gvardija, 1929. 2 Ivan hudjakov, Opyt avtobiografii, Genève, 1882.

L'écriture de la guerre chez V. Makanine

HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2008

Le thème de la guerre n'est pas caractéristique de l'écrivain russe contemporain Vladimir Makanine (né en 1937), mais il apparaît au moins deux fois dans son oeuvre. D'abord dans la nouvelle Le Prisonnier du Caucase, publiée en 1994, puis plus récemment, en 2001, dans un court récit 1 intitulé La guerre d'un jour. Dans un cas comme dans l'autre, la critique littéraire a été frappée par le caractère « prémonitoire » de ces oeuvres. La première, en effet, est écrite à la veille de la première guerre russo-tchétchène et publiée « sous le fracas des canons ». Le second récit a été écrit juste avant l'attentat new-yorkais du 11 septembre 2001 qui a déclenché l'affrontement américano-islamiste que l'on sait 2. Et pourtant, avec le recul, on peut dire que ni l'une ni l'autre de ces oeuvres ne sont directement des oeuvres sur la guerre. La lecture immédiate et la coïncidence avec l'actualité ont masqué le sens profond de ces récits, la véritable recherche ontologique de leur auteur et son dialogue avec la tradition littéraire russe. Le Prisonnier du Caucase, voilà un titre qui inscrit explicitement la nouvelle de Makanine dans une longue lignée d'oeuvres classiques, dominée par les « poèmes du sud » de A. Pouchkine. Au delà il renvoie à toute la littérature romantique sur ce thème byronien (on pense au poème Le Giaour), portant l'influence de J.-J. Rousseau et du mythe du bon sauvage, et s'appuyant sur l'opposition Nature/Culture. Le grand poète romantique M. Lermontov a développé le thème principalement dans Mtsyri, dans Un Héros de notre temps, dans Valérik, et il a également intitulé un poème en 35 strophes Le Prisonnier du Caucase, en 1828. L. Tolstoï a écrit, lui aussi, un Prisonnier du Caucase, dans lequel on trouve la même trame narrative que dans les poèmes romantiques : le prisonnier russe Ivan Jiline est aidé pour son évasion par la jeune Caucasienne Dina. Chez Pouchkine, le thème du Caucase est déjà inséparable de celui de la guerre aux confins de l'Empire russe. Toute l'oeuvre de Lermontov est lié au Caucase et au thème de la liberté, ou plutôt de la non-liberté de l'homme (sa condition de « prisonnier ») par rapport à sa condition sociale et humaine, (c'est le thème du démon, de l'ange déchu, qui aspire à