Ils ont acheté ce que nous n'avons pas vendu » : une analyse du tourisme dans la Sierra Tarahumara (Mexique (original) (raw)
2018, https://www.ritimo.org/
« Nous sommes nés ici, nous ne venons pas d'ailleurs. Nous vivons ici. Nous sommes nés ici. Nos arrière-grands-parents sont nés ici, tout comme nos ancêtres. Et maintenant c'est nous qui sommes ici. Auparavant, seuls les Tarahumaras vivaient ici, mais ce n'est plus le cas […]. Nous ne sommes plus les seuls à vivre ici. » Teresa Batista, une Rarámuri originaire de Mogotavo Ce témoignage de Teresa Batista, dont la communauté est touchée par le projet touristique des Barrancas del Cobre (« canyon du cuivre », PTBC), introduit parfaitement cet article qui s'intéresse à la vision qu'ont les Rarámuris du secteur du tourisme. Nous allons tout d'abord voir comment le secteur privé, qui a été le moteur premier de l'arrivée et du développement de l'industrie touristique, n'a pu occuper une telle place et jouer un tel rôle que grâce aux politiques d'État, c'est-à-dire grâce à la collusion systématique entre secteur privé et gouvernement dans l'intérêt des compagnies privées. Nous problématiserons ensuite les notions qui ont été employées par les représentant.e.s de l'État dans le cadre des conflits nourris par le tourisme. Les Rarámuris, que les hispanophones appellent « Tarahumaras », forment une population de plus de 70 000 personnes qui vivent dans les montagnes, sur les sommets et dans les vallons du Nord-Ouest de la Sierra Madre Occidental (ou Sierra Tarahumara), dans l'État du Chihuahua. Depuis que le gouvernement mexicain est parti en croisade contre la drogue, en 2006, de nombreux Rarámuris ont aussi fui les violences liées au conflit pour s'installer dans les aires urbaines de l'État. Une spoliation née d'un tourisme privatisé Le tourisme dans la Sierra Tarahumara se caractérise avant tout par sa diversité. Un tourisme local et informel y coexiste avec des investissements multimillionnaires dans des mégaprojets ciblant de riches consommateurs du monde entier, avec toutes les nuances intermédiaires que l'on peut imaginer entre ces deux extrêmes. Toutes les formes de tourisme altèrent et modifient l'environnement, ainsi que les rapports qu'entretiennent les autochtones avec leur milieu. En 2016, le secteur du tourisme a progressé de 2,9 % à l'échelle du pays, dépassant ainsi la croissance économique nationale (2,6 %), et devrait continuer à progresser pendant au moins dix ans de plus. Certes, tout ça n'est pas nouveau. Au Mexique, le tourisme en tant qu'activité économique est né avec le projet de reconstruction post-révolutionnaire. Dès 1921, le tourisme apparaît comme une plus-value et gagne une légitimité internationale (grâce aux touristes américains), ce qui lui vaut d'être considéré comme une forme de dialogue diplomatique et un mécanisme de reconstruction nationale et de progrès (González et Aura, 2002). Dans les années 1970, des organisations internationales, les représentant.e.s de l'État et le secteur privé encouragent le tourisme international dans des régions extrêmement marginalisées et très pauvres. On part alors du principe qu'outre la nature pérenne du tourisme, les investissements économiques et les transformations paysagères qui l'accompagnent déboucheront sur l'amélioration des indices de développement humain des habitant.e.s de ces régions. Toutefois, les historien.ne.s et les anthropologues d'aujourd'hui dépeignent une réalité bien différente de ce projet initial dans le cas des Rarámuris de la Sierra Tarahumara.