Temps et territoires, les pistes de l'hyperchronie (original) (raw)

L e temps, « synthèse progressive d'un haut niveau de complexité » (Elias, 1996), est une clé d'entrée essentielle pour la compréhension et la gestion des sociétés, ainsi qu'un enjeu collectif majeur pour les hommes et les territoires à un moment particulier de l'évolution de nos sociétés, où nous ne croyons plus ni en la toute puissance de la poli-tique, de la science, de la raison, de la technique, du progrès, ni aux lendemains meilleurs. C'est sans doute dans le rapport entre le temps et l'espace, supports inséparables de notre vie sociale, que nous pouvons trouver des clés de lecture et de compréhension du monde. Pendant des siècles, une conception du « temps circulaire » a prévalu, où ne s'opposaient que le « maintenant » et le « pas maintenant ». Cette conception du temps circulaire ou cyclique a laissé la place à un temps linéaire, cadencé par la production et l'idée de progrès. Une conscience du temps linéaire a peu à peu remplacé le cercle du temps par une flèche, une ligne irréversible venant du passé et se dirigeant, en passant par le présent, vers un avenir ouvert. À la différence du temps des sociétés traditionnelles tourné vers le passé et du temps moderne orienté vers l'avenir, c'est aujourd'hui le temps présent qui est de plus en plus privilégié, et qui peut apparaître comme l'espace de la réalisation du désir, hic et nunc (Sue, 1994). À défaut de conquérir l'avenir, l'individu est invité à reconquérir le présent (Maffesoli, 1979) avec des effets paradoxaux. Le passage d'un mouvement perçu comme dirigé à une dynamisation privée de direction peut créer une impression d'immobilité, en dépit de, ou justement en raison, d'une dynamique événementielle élevée (Rosa, 2010). C'est le paradoxe de « l'immobilité fulgurante » décrit par P. Virilio (Virilio, 1995). Pour une partie de la population qui « hurle dans le présent », cet enfermement dans l'espace et dans le temps est une souffrance qui ne s'arrête jamais (Emmanuelli, 2002), ou l'avènement d'un « nouveau fatalisme »-analysé par P. Slotersdijk (Sloterdijk, 2003).