Dictionnaire dan de l'Est-français suivi d'un index français-dan (2e édition) (original) (raw)

Dandys, esthètes et névropathes : drogués d'art dans le sillage de Baudelaire Cahiers ERTA, n°7, « Addictions », juillet 2015 « Enivrez-vous ! » Le cri poussé par Baudelaire en 1864 semble se répercuter dans les décennies suivantes en gémissement moribond. Le lien entre arts et addictions date évidemment d'avant Baudelaire, mais s'il n'en est pas exclusivement responsable, le cliché de l'esthète fin-de-siècle intoxiqué reste fortement redevable au poète des Fleurs du mal, à l'essayiste de De l'opium et du haschich et au traducteur de Thomas de Quincey. Dans la France des premières décennies de la Troisième République, partagée entre les impératifs de l'Ordre Moral et la frénésie de l'après-1870, la drogue déborde d'un mouvement à un autre et sert de lieu commun où se rencontrent la dernière génération romantique, les naturalistes, et les décadents, symbolistes ou idéalistes de la fin du siècle. L'héritage baudelairien revendiqué par la génération d'auteurs décadents et symbolistes relève d'une double fatalité littéraire. La première fait de l'addiction l'accessoire nécessaire du héros fin-de-siècle. Cigarette, narguilé, verre d'absinthe, pipe à opium, jeu de cartes et seringue entrent dans la panoplie du dandy ou de sa parèdre féminine. La seconde vient, sous le patronage de Baudelaire, réactualiser le lien entre l'art et la drogue, faisant de la substance esthétique un élément tout aussi nécessaire que létal à la physiologie du héros décadent. L'in fluence de Baudelaire se traduit de deux manières, suf fisamment perceptibles au lectorat de l'époque pour être au coeur de la parodie des Déliquescences, poèmes décadents d'Adoré Floupette (1885) de Vicaire et Beauclair. La première reviendrait à dire qu'il est nécessaire d'être drogué pour apprécier l'art, la seconde qu'apprécier l'art rend nécessairement drogué. Le lien entre substance toxique et sincérité de l'émotion esthétique se fait suf fisamment étroit pour qu'intervienne la notion de légitimité, assurée par la panoplie de drogué et les poses d'esthète en extase, et d'authenticité. À en croire le panel des épigones de des Esseintes, personnage central d' À Rebours (1884) de Huysmans, la sensibilité esthétique, dans le cercle vicieux qu'elle entretient avec l'art, ne peut être que névrotique ; or le décalage entre être et paraître, crucial dans la mise en scène du dandy fin-de-siècle, ne se résout que dans l'accès à l'illusion plus vraie que nature de la drogue, qu'elle soit pratique, substance toxique ou oeuvre d'art. Si Baudelaire, et avec lui Nerval, ne font que condenser le lien créé par la drogue entre folie, rêve et art, ils fondent, pour la génération suivante, ce point indé fini où la substance hallucinogène, tout en altérant le réel, permet de découvrir le vrai. La génération qui les a pris pour maîtres et pour modèles revendique l'alcool, les opiacés, le haschisch ou l'éther non seulement comme marqueurs la séparant du « bourgeois » mais surtout comme éléments déterminant le rapport à la réalité. La consommation de psychotropes n'est pas seulement un acte, elle ne se limite ni au plaisir ni à la révolte face à la société. En la faisant motif artistique