Quand l'Europe se « geoffrinise » : les muses parisiennes du XVIIIe siècle (original) (raw)

2020, Les Parisiennes : des femmes dans la ville (Moyen Âge – XVIIIe siècle), études réunies par Jeanne Chiron, Nathalie Grande, Ramona Herz-Gazeau, Julie Pilorget et Julie Piront

Le néologisme « geoffriniser », que l'on doit à Ferdinando Galiani, cristallise le pouvoir d'attraction et de séduction qu'exercent plusieurs femmes lettrées parisiennes du XVIII e siècle sur les écrivains et amateurs de France et d'Europe. Le 13 avril 1771, l'abbé, qui avait été pendant dix ans secrétaire d'ambassade de Naples auprès du comte de Cantillina à Paris (1759-1769), avoue en effet à Mme d'Épinay, une fois de retour en Italie : « Malgré tous les efforts du baron [F. M. Grimm] et les miens, il n'y a pas moyen de faire ressembler Naples à Paris, si nous ne retrouvons une femme qui nous guide, nous régisse, nous geoffrinise » 1. Paris est ainsi associée, sans doute par nostalgie mais pas seulement, à l'emprise des femmes sur la vie littéraire au temps des Lumières. Véritables orbites d'une sociabilité et d'une médiatisation littéraires qu'elles orchestrent spécifiquement depuis Paris, dans leurs salons, ces femmes tiennent les écrivains informés des nouveautés de la capitale grâce à leur correspondance, les inspirent et les guident dans leurs choix, tant scripturaires qu'éditoriaux. Mais cette élection ne se fait pas sans condition, au sens sociologique du terme : il faut disposer de ressources suffisantes pour investir les lieux de la sociabilité lettrée-théâtres et salons, entre autres-et se dépouiller de tout provincialisme. Nous envisagerons ce tropisme parisien à travers les missives de cinq épistolières-Mmes d'Épinay, du Deffand, de Graffigny, et Mlles de Lespinasse et Malboissière-qui parvinrent à faire de leur sédentarité citadine un atout majeur. La situation géographique idéale dont elles bénéficient fera l'objet d'une première partie de notre étude. Nous démontrerons ensuite qu'au-delà de cet acquis, les femmes lettrées parisiennes oeuvrent pour s'octroyer un rôle spécifique dans la diffusion de la culture et pour le préserver, en se rendant indispensables aux autres acteurs de la vie littéraire de l'époque. Le privilège des hôtes parisiennes L'une des premières distinctions qui s'établit entre une femme lettrée de province, voire de certaines autres capitales européennes, et la Parisienne, tient à la richesse culturelle des lieux. Leur position incontournable, les Parisiennes la doivent à l'éclectisme des sources 1