Les « Regrets » de Villon ou la vieillesse impertinente (original) (raw)
2020, Relire Villon : Lais, Testament, Poésies diverses, dossier Acta Litt&Arts dirigé par Fleur Vigneron
Dans la construction de la légende villonienne et les malentendus qu'elle a su engendrer, certains vers tiennent un rôle de premier plan. Au sein du passage du Testament qu'on nomme les « Regrets 1 », l'autoportrait du poète en vieil homme repentant constitue le parfait exemple du morceau de choix trop longtemps isolé du contexte qui l'explique. La confusion entretenue par Villon quant au sens de ces vers dispose de solides antécédents. Déjà Clément Marot s'enthousiasmait de leur portée didactique : « Notez, jeunes gens 2 ! », écrivait-il en marge des prétendus aveux de Villon, adepte honteux de l'école buissonnière. Passage obligé des anthologies scolaires, les vers ont été lus par des générations d'élèves prêts à recevoir la leçon du poète mauvais garçon. Un tel succès doit beaucoup à l'émotion intacte que l'on croit déceler dans ces plaintes : l'extrait conforte à première vue la conception d'un Villon pré-romantique, déplorant la fuite du temps et se reprochant les erreurs de sa jeunesse. Je me propose de revenir sur ces vers célèbres : il s'agira plus particulièrement de commenter les huitains XXII à XXVII, ainsi que leur mise en place par les huitains XIV et XV. Tout en s'appuyant sur une analyse de la progression de l'extrait et sur les lectures critiques déjà existantes, on replacera les « Regrets » dans l'intention parodique du Testament et dans le contexte d'appréciation plus général de la poésie du Moyen Âge finissant. Ce faisant, on montrera que la vieillesse alléguée entre dans le large répertoire des masques du poète 3 et que, loin d'avoir pour fonction unique de nourrir un lyrisme de la perte, elle est choisie pour les avantages qu'elle comporte : elle engage des bénéfices quant à la 1 Le terme est consacré depuis la dichotomie établie par Italo Siciliano, désormais largement dépassée, entre une seconde partie du Testament dédiée aux legs et une première partie écrite ultérieurement et consacrée aux regrets d'un Villon assagi, François Villon et les thèmes poétiques du Moyen Âge, Paris, Armand Colin, 1934, plus particulièrement p. 451-454. démarche de confession avancée au huitain XIV et fonctionne comme le marqueur d'une poétique que Villon s'attache à détourner.