Roland, Martin, Zajic, Andreas: Chartes médiévales enluminées dans les pays d’Europe centrale (2011/2013) (original) (raw)

Vidas et miniatures dans les chansonniers occitans A, I et K : un « double filtre métatextuel » ?

Quand L'Image relit le texte : regards croisés sur les manuscrits médiévaux, dir. Sandrine Hériché-Pradeau et Maud Pérez-Simon, 2013 : Presses Sorbonne Nouvelle, p. 201-220

""Lorsque, vraisemblablement dès la fin du XIIe siècle, les troubadours prennent le chemin de l’Italie et de ses cours, ils amènent avec eux une poésie qui y trouvera un écho durable. D’Italie du Nord nous proviennent en effet bon nombre des plus anciens chansonniers et le phénomène de mise par écrit de la lyrique occitane qui s’y déroule s’accompagne d’une volonté d’organiser, d’encadrer et d’expliciter les œuvres des troubadours. C’est dans ce contexte d’élaboration d’un canon et de passage d’une poésie vivante et courtoise à un texte écrit, objet de connaissance, que s’inscrivent les chansonniers occitans A, I et K. Ceux–ci ont la particularité de faire précéder les œuvres de chaque troubadour par sa vida, écrite à l’encre rouge, et par une miniature le représentant, inscrite dans l’initiale de son premier poème. Ces deux éléments, constituant ce que Maria-Luisa Meneghetti qualifie de « doppio filtro metatestuale », servent à encadrer les poèmes, à guider le lecteur dans leur appréhension, à en fixer une interprétation. Placés en des lieux voisins par la mise en page du manuscrit et possédant des finalités proches, la vida et la miniature entretiennent entre elles des liens forts, soulignés depuis longtemps par les philologues. Si le texte de la vida se construit en bonne part sur une lecture des œuvres du troubadour, dont elle fournit une exégèse, la miniature paraît bien souvent se fonder à son tour sur la vida, qui lui préexiste. Elle peut ainsi choisir tantôt d’illustrer un épisode marquant et amplement développé par le texte biographique, tantôt de se fonder sur un aspect de la vie du troubadour seulement brièvement évoqué. En réalité, dans de nombreux cas, l’image se construit autour d’un seul mot, tiré du texte ; ce terme, généralement une désignation sociale, se voit ainsi réinterprété par l’image, qui développe un vocabulaire iconographique qu’on ne saurait superposer entièrement à celui, textuel, de la vida. Ce mode de fonctionnement, attesté par les instructions laissées aux miniaturistes dans le chansonnier A, peut permettre à l’image de s’émanciper du texte biographique et d’intégrer des éléments provenant d’autres sources, soit qu’on aille les chercher directement dans les poèmes, soit qu’ils participent d’une vision particulière et rétrospective de la société courtoise et de la lyrique des troubadours. Après avoir abordé la question du rôle accordé à l’image dans le projet porté par le manuscrit, la communication se donnera pour but de préciser la nature des liens forts qu’y entretiennent texte biographique et « portrait », tout en montrant en quoi tant le texte que l’image possèdent un langage qui leur est propre. Enfin, on pourra brièvement évoquer la méthode statistique utilisée pour étudier ce corpus.""