« Ce qui méritait le plus d’être puni était son pénis » : postsocialisme, distopie et la mort du héros (original) (raw)
La mort du roman : d’un mélodrame et de ses avatars
Études littéraires, 2000
Cet article prend le débat américain sur la mort du roman, qui a éclaté dans les années 1960, comme un exemple de crise culturelle. C'est que la mort du roman n'est qu'une crise parmi d'autres, un épisode dans une longue séquence de morts qui, au-delà de la littérature, a aussi touché Dieu, l'homme, l'auteur, la musique, la peinture, l'Histoire, les idéologies et qui rejoint, dernièrement, le livre et la culture de l'imprimé. De façon à comprendre comment cette dernière crise, la fin du livre, reproduit la mort du roman, je vais décrire les deux comme les manifestations d'un même imaginaire qui s'empare d'une situation de transition pour la présenter comme une fin.
En féwier 1988, La Commissaire' film réalisé par Alexandre Askoldov à partir d'une nouvelle de Vassili Grossman, est en compétition au festival de Berlin. Il suscite une émotion immense, remporte I'Ours d'Argent et une multitude de prix : le Prix des Critiques, le Prix-de la Fédéiation intemationale des critiques, le Prix du jury de I'organisation catholique internationale des médias, le Prix du jury évangélique international... Vingt ans plus tôt, ce film, d'une intelligence et d'une sensibilité rares, a éG interdit par les autorités du cinéma soviétique de la façon la plus absolue qui soit : il n'a été montré, ni en URSS, ni en Occident, et son metteur en scène n'a plus jamais pu toumer' si bien que La Commissaire reste sa seule cuvre cinématographique. Alexandre Askoldov a donc paftzgé le destin de Vassili Grossman, mais aussi de Mikhail Boulgakov, auquel il avait consacré une thèse : parge que tous trois refusaient de soumettre leur art aux besoins exclusifs du politique, eux et leurs aeuwes ont éte, à des époques différentes, condamnés à la nonexistence. Cet article entend explorer le parcours d'Alexandre Askoldov, ainsi que les raisons et les modalités de I'interdiction, puis de la réapparition : COMMUNISME _ 7O/7 I _ 2OO2 cÉcILE VAISSÉ ultérieure de Là commissaire.Il souligne I'importancae du tabou qui pesait, en URSS, sur le << thème juif > et relève quelques procedés qu'utilisaient les artistes pour tenter de tromper les censeurs. Il monte comment l'État soviétique a réduit des créateurs au silence et il met en évidence le rôle que jouaient certains d'entre eux pour étouffer leurs pain ou, au contraire, ies aider. Il prouve en faitet le parcours même d'Alexandre Askoldov en témoigne -qu'il n'y avait pas, dans I'URSS de l'époque, une frontière neffe entre, d'une part, un pouvoir qui aurait opprimé les créateurs et, d'autre part, des artistes qui auraient encaissé les coups. La Commissuire, un film sur deux sujets tabous L'action de La Commissaire se passe pendant la guene civile, juste après la révolution bolchevique. Des soldats rouges arrivent dans une ville, accompagnés par leur commissaire politique, Claudia Vavilov4 l,une de ces grandes et fortes femmes russes qui, pour reprendre les vers du poète Nekrassov, arrêtent un cheval dans sa course et se précipitent dani une isba en feu. Lorsqu'un déserteur est arrêté, la commissaire lui reproche de ne pas avoir défendu la révolution et décrète qu'il doit être jugé. L'image suivante monfie son exécution par un peloton. Claudia Vavilova est enceinte. Elle n'a pas réussi à se débanasser de cet enfant et doit avouer sa grossesse à son capitaine, joué par Vassili Choukchine, écrivain, comédien et cinéaste. Comme il est trop tard pour que les médecins interviennent, le capitaine réquisitionne une piece ôhez t:: Yae11atik, une pauwe famille juive de Berdiaehev. pendant que Claudia s'installe, les enfants jouent à fusiller leur poupée en chantant. Malgré leur misère, les Magazanik sont heureux. Le père, Efim, un 4it1, joué par Rolan Bykov, est fou amourerx de sa ravissanG épouse, Maria. Il va au travail en chantant et dansan! tandis qu'elle s'occupe de leur famille. Mais quand un canon traverse la ville, la femme et les enfants le regardent pasiser avec sérieux et gravité, comme si la mort faisait imrption dans la vie. Maria comprend que claudia est enceinte et elle lui apprend ce qu'est I'amour matemel. Désormais, la famille Magazanik entoure la commissaire de tendresse et de gaîté, si bien que èelle-ci s'humanise et accepte enfin sa maternité. Efim lui coud une robe, plus conforme à son état que son uniforme de soldat. claudia ressemble, avec son fichu blanc, à la paysanne qu'elle n'a que momentanément cessé d'être. L'accouchement est pénible : Claudia délire, elle rêve de soldats, dont I'un, les yeux bandés, appelle à I'aide, et d,un canon qu'il faut dégager du sol où il est ensablé. Elle voit des chevaux galoper à perdre haleine et le père de I'enfant se faire tuer. Enfin, à I'immense joie des Magazanik, elle donne naissance à un fils. peu après, heureuse et fÈre, elle va se promener, avec son enfant dans les bras. Elle porte une robe, un foutard et de jolies chaussures. Laissant derrièie elle une égrise russe,-elle COMMUNISME _ 70/71 _ 2OO2 AUX ARTISTES NON.CONFORMES, LA NON.EXISTENCE 247 passe devant une église catholique où un prêtre lui montre le chemin. Enfin, elle entre dans une synagogue détruite. Mais lorsqu'elle aperçoit un religieux, elle rebrousse chemin. Elle croise alors des soldats qui la recoirnaissent et I'appellent. Elle les fuit et s'écroule en larmes, comme effrayée par ce qu'ils représentent. Les Rouges doivent provisoirement se retirer devant l'avancée des Blancs. Malgré les risques, les Magazanik assurent à Claudia qu'elle peut resûer chez eux aussi longtemps qulelle le souhaitera. Le lendemain, t-ous, dans la ville, se barricadent. Les enfants jouent au pogrom et ce jeu cruel Défendre Vladimir Pomerantsev et redécouvrir Mikhail Boulgakov Staline meurt en mars 1953 et, en décembre 1953, le critique Vladimir Pomerantsev publie, dans la revue Nory Mir, <<De la sincérité en littérature >>,.un article qui, pour le jeune Askoldov, est ( comme un coup de tonnerrea >r. Sans remettre en ôause le parti, Vladimir Pomerantsev défend une littérature qui place au caeur de ses préoccupations l'humain et non l'idéologie, l'individu et non plus les slogans, une littérature qui décrit la vie telle qu'elle est, avec ses problèmes et sa complexité, Pour lui, l'aeuwe d'art n'est pas une arme idéologique, mais I'expression d'une nécessité intérieure et individuelles. Parce que cet article s'oppose à la conception de I'art, telle qu'elle a été réaffrmée par les résolutions d'Andreï Jdanov en 1946, il est fustigé COMMUNISME _ 7O/7 ] _ 2OO2
Que faire de (la mort de) Pompée ? Analyse poétique et politique d’une tragédie double
Bergen Language and Linguistics Studies, 2019
This article proposes a double analysis, poetic and political, of the tragedy La mort de Pompée (The Death of Pompey, 1644) by Pierre Corneille. It shows the bold construction of Corneille who crosses two intrigues: an Egyptian one (what to do with the arrival of Pompey?) and a Roman one (what to do with the death of Pompey?). The French poet lends to Caesar, faced with the head of Pompey, a double reaction, worked by the tension between the joy of the defeat of his adversary and the magnanimity that he must manifest to hope to restore civil peace. By inventing a confrontation, absent from the historical sources, between Caesar and Cornelia, he introduces the question of the conditions of the end of the civil war. It thus appears that the poetics of the play unfolds a political thought. Corneille highlights the threat that imperial conquest outside Rome poses for civil peace.
Sade sous le manteau : l’image du sadisme de Stendhal à Huysmans, entre mythe et figuration
Revue @nalyses, vol. 12, nº 1 (« Dossier - Le rouge et le noir : le sang et la mort dans le roman d’expression française »), hiver 2017, p. 127-152.
Cet article analyse les représentations littéraires du sadisme dans le cadre du XIXe siècle français. Si un héritage sadien se consolide dans la tradition littéraire de ce siècle, il n’en demeure pas moins que l’influence de Sade s’ancre souvent dans des textes qui omettent de mentionner son nom. C’est le cas de la nouvelle « Les Cenci », publiée par Stendhal en 1837. Dans Là-bas (1891), Huysmans, quant à lui, met en scène un protagoniste rédigeant l’histoire de Gilles de Rais. Contrairement au texte de Stendhal, qui sollicite l’aura du mythe afin de susciter l’intérêt du lecteur, Huysmans se positionne de manière critique par rapport aux conditions de formation du mythe. L’article retrace ainsi l’évolution générale que connaît la figure historique de Sade à travers le XIXe siècle, au sens où cette évolution est caractérisée par une mise à l’écart progressive des déformations mythologiques. This article addresses the literary representations of sadism during the 19th century in France. In Là-bas (1891), Huysmans’ protagonist is a writer preoccupied by the medieval murderer Gilles de Rais. While Sade's legacy is clearly consolidated in the literary tradition of this century, the fact remains that such influence is often anchored in texts that fail to mention Sade’s name. Such is the case in the short story « Les Cenci », first published by Stendhal in 1837. Unlike Stendhal’s text, which uses the aura of the myth in order to capture the interest of the reader, Huysmans is putting forward a critical approach regarding the conditions under which a myth is forming. This article therefore traces the general evolution experienced by the figure of Sade throughout the nineteenth century, an evolution that is characterized by a progressive elimination of mythological disformations.
J.-Ph. JACCARD, «L’horreur postsymboliste, ou la fin de l’angoisse»
Anxiety, Angst, Anguish in Fin de siècle Art and Literature (dir. R. Neginsky, M. Segrestin, L. Jurgenson), Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, 2020
Anxiety presupposes two distinct times and spaces : the here and now of the anguished subject and the there and after of the object that causes this anxiety. As this object remains undetermined, anxiety is linked to the expectation of a Revelation : this dialectic is at the very heart of Symbolism (mysticism), and later of the avant-garde (utopism). In the 1930s, the duration of the waiting time was reduced to zero : we then entered the time of horror (L. Lipavski), when the only revelation was that of death without redemption.