« Interpréter le langage : autour de la pensée de Hans-Georg Gadamer », Chaire de Philosophie de l'Hôpital de Sainte-Anne / Université de Paris, 19 avril 2021 (original) (raw)

Anne 19 avril 2021 Ioanna Bartsidi On vient d'écouter un extrait de musique, peut-être que certains d'entre vous l'ont reconnu, c'est le début du concerto pour violon en ré majeur de Beethoven, composé en 1806. Il s'agit d'une oeuvre parmi les plus connues de Beethoven aujourd'hui, d'une importance capitale pour l'histoire de la musique. Cependant on sait que ce concerto n'a absolument pas joui d'un accueil positif par son public original. Il a été jugé trop mélodique par rapport aux oeuvres précédentes de Beethoven, construit autour d'un simple thème musical répété 40 fois, un peu « ringard ». Le violon, censé avoir un rôle principal, y est pour ainsi dire sous-exploité, réduit souvent à commenter des mélodies exposées par l'orchestre et même à jouer des gammes de manière répétitive. Pour toutes ces raisons, le concerto a eu un effet déconcertant sur son premier public et un des critiques a parlé d'un « manque absolu de cohérence, vacarme continuel entretenu par quelques instruments…». A la fois en retard et en avance sur son temps, il ne fut plus jamais joué du vivant du compositeur. C'est seulement après plusieurs années d'effort de la part du compositeur et chef d'orchestre Felix Mendelssohn et du violoniste Joseph Joachim, qui insisteront pour le jouer en 1844 à Londres, que ce concerto commencera à être apprécié et finira par être vu vers le début du XX e siècle comme un chef d'oeuvre singulier. On aura sans doute pas tort de dire que le concerto pour violon de Beethoven ne fut pas compris par son époque ; qu'il a dû être interprété, dans les deux sens du terme, par Mendelssohn, et traverser un siècle entier pour accéder finalement au statut d'oeuvre d'art monumentale qui lui correspondait. Mais, qu'est-ce que cela veut dire, ne pas comprendre un concerto ? Et encore, qu'est-ce que cela veut dire, « interpréter » un concerto de manière à ce qu'il soit enfin compris, qu'il accède enfin à sa vérité, voire à son être d'oeuvre d'art ? C'est la première question que pose Hans-Georg Gadamer dans Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique, parue en 1960, dont nous parlerons aujourd'hui. On aurait pu commencer de manière plus habituelle, avec une courte biographie de Gadamer, on aurait dit que « Hans-Georg Gadamer est né en 1900 à Marbourg, il a été un élève et proche collaborateur de Martin Heidegger et un des plus grands théoriciens de l'herméneutique… ». Mais on a choisi de commencer directement par une question de Gadamer. Pour justifier cette décision on peut citer une phrase prononcée par M. Heidegger à propos d'Aristote, que Gadamer ! 1 mentionne lui-même souvent : Aristote est né, il a pensé et il est mort. A l'instar de cette biographie, on peut accepter de faire de même pour Gadamer, de faire donc l'économie, ou du moins de reporter le simple récit de la vie et la situation historique extérieur de son oeuvre, et commencer directement par se demander : qu'est-ce qu'il a pensé ? Quelle a été la question fondamentale de Gadamer, sur laquelle il a travaillé tout au long de sa vie et à laquelle il a consacrée son oeuvre maîtresse que nous étudions aujourd'hui. On pourrait répondre que son projet, qui se situe à l'intérieur du projet plus général de la théorie herméneutique, se résume à la question : qu'est-ce que comprendre, la compréhension signifiant à la fois intelligibilité, interprétation et production de sens. Comment comprend-on quand on comprend quoi que ce soit ? Dans le Vérité et méthode, Gadamer expose« les grandes lignes d'une herméneutique philosophique », comme philosophie du phénomène de la compréhension. Il y examine les conditions dans lesquelles a lieu la compréhension, dans lesquelles est rendue possible ou impossible la production, la transmission et la communication du sens. Il le fait en partant de la compréhension et non pas de « ce qui est compris », c'est-à-dire en envisageant la compréhension en elle-même comme fait, phénomène, processus et relation qui est primordial par rapport au